Chronica Majora – Rerum Britannicarum Medii aevi scriptores

 

 

    

Date Approximative : 1253

Précision sur le titre : Grande Chronique

Auteur : Matthieu Paris - Matthaei Parisiensis

Edition utilisée : Edition Henry Richards Luard volumes IV (1240-1247)1877, V (1248-1259)1880 et VI (Addimenta)1882 - Edition traduction : A. Huillard-Bréholles chez Paulin 1840 Tome 6, 7. pages en bleu

Fiche Arlima ou CartulR : Arlima

 

Accès rapide :

 

     Matthieu Paris (1200-1259) était un moine bénédictin anglais, historien, enlumineur, hagiographe (confectionneur de biographies de saints), cartographe, sculpteur ou métallier. En 1217 il entre au monastère de saint Alban (Hertfordshire) à l’est de l’Angleterre. Cette abbaye fut fondée en 793 puis agrandie avec magnificence en 1077. Le pape anglais Adrien IV en fit la plus importante abbaye d’Angleterre en 1154. Restaurée en 1877 l’ancienne église abbatiale est devenue cathédrale. Il parlait français et son aisance avec les nobles ont fait dire qu’il était issu de ce milieu. Il reçut une importante mission de la part d’Innocent IV en Norvège en 1248. Il continua l’œuvre de son prédécesseur Roger de Wendover en tenant les chroniques du couvent, c’est la Chronica Majora, et réalisa un résumé appelé Historia Anglorum ou Historia Minor de 1067 à 1253.

 

     Les deux premiers volumes de la Chronica majora sont au Corpus Christi College à Cambridge n° 16 et 26. Le troisième volume relié avec l’Historia Anglorum est à la British Library MS Royal 14.C.VII. L’illustration ci-dessus est tirée de ce manuscrit.

 

      C’est de loin le document le plus complet de la période mais il est nécessaire de vérifier soigneusement les dates et la chronologie car Matthieu Paris se répète souvent pour un même évènement à des endroits différents. Il est le seul avec Joinville à citer Guillaume de Sonnac tout en écorchant son nom en William de Senay. Pour notre étude, c’est la source la plus citée après Jehans de Joinville mais loin devant Guillaume de Nangis. Matthieu a été totalement contemporain de Guillaume de Sonnac mais pas témoin visuel, il écrivait d’après les documents reçus en Angleterre et d’après les témoignages qui lui étaient rapportés. Ses convictions sont souvent partisannes. Il aimait Frédéric II mais ni les Templiers ni les Poitevins aussi ses louanges à propos de Guillaume de Sonnac sont certainement particulièrement méritées et elles n’auraient pas été écrites dans le Chronica Majora si Guillaume de Sonnac n’avait pas été très proche d’Henry III et des Plantagenêts.

 

     Ba - En mai 1245, la situation du Temple et de l’Hopital, après la défaite de La Forbie (Gaza) et l’invasion des Korasmiens (Iraniens) est catastrophique. Le comte Richard de Cornouailles (05/01/1209 – 02/04/1272 fils de Jean sans Terre et Isabelle d’Angoulème, frère d’Henry III) et Louis IX envoient des subsides. Tome IV page 416. Tome VI page 43.

 

 

Ipsis quoque diebus, cum pessimi rumores de Terra Sancta pervenientes increbruissent, ita quod timebatur ut tota terra pateret diserimini, comes Ricardus, ex innatasibi munificentia, illuc in succursum circiter mille libras per Hospitalarios transmisit.

 

Et ut abtergerentur lacrimae a maxillis matris nostrae ecclesiae deplorantis filios suos nuper trucidatos, rex Francorum, Hospipitalarii quoque et Templarii, milites neophitos et manum armatam cum thesauro non modico illuc, ad consolationem et auxilium ibi commorantium et impetus cotidianos Chorosminorum et aliorum infidelium sustinentium, festinanter transmiserunt. Procuravit etiam rex Francorum, ut quidam legatus facundus et discretus praedicator in Franciam veniret, de negotio crucis instantissime praedicaturus.

A la même époque, des nouvelles déplorables de la Terre Sainte arrivèrent en Europe et y répandirent le bruit qu’il était à craindre que le pays tout entier ne fût désolé par une invasion. Le comte Richard, d’après la munificence qui lui était naturelle, fit passer environ 1000 livres aux Hospitaliers pour contribuer à secourir la Terre.

 

Afin d’essuyer les larmes sur les joues de notre mère l’église qui déplorait la mort de ses enfants récemment massacrés, le seigneur roi de France, les Hospitaliers et les Templiers envoyèrent aussi en toute hâte des chevaliers novices, un corps d’hommes d’armes, et une forte somme d’argent pour consoler et secourir ceux qui demeuraient en Terre Sainte et qui chaque jour soutenaient les attaques des Chorosminiens et des autres infidèles. Le roi de France s’occupa en même temps de faire venir en France un certain légat, homme discret et éloquent, dont les prédications très instantes animassent les hommes à prendre la croix.

 


 

     Bb - Juin 1245 - Le pape Innocent IV fait un sermon en l’église Saint Jean de Lyon en ouverture du concile de Lyon réuni en vue de la déposition de Frédéric II. Tome IV page 434. Tome VI page 70.

 

Alium de Terra Sancta, in qua Corosmini detestabiles domod Templi et Hospitalis, civitatem quoque Jerusalem, et alias multas Christianorum civitates, cum magno Christiani sanguinis profluvio, usque ad ininternecionem, solo tenus diruendo, destruxerunt.

La quatrième (grande douleur de l’église est causée), par la Terre-Sainte où les détestables Chorosminiens avaient  détruit et rasé jusqu’au sol les maisons du Temple et de l’Hopital, la ville même de Jérusalem, et beaucoup d’autres cités chrétiennes, en versant jusqu’à extermination des torrents de sang chrétiens.


  

     Bc - 16 juillet 1245. Une liste des innombrables exactions de Frédéric II contre les biens de l’église et ceux des Templiers est reprise dans l’acte de sentence du concile. Tome IV page 451. Tome VI page 95.

 

…Ac Templariis, Hospitalariis, et aliis personis ecclesiasticis de dampnis et injuriis irrogatis eis satisfaceret competenter ;

ipse mandatum hujusmodi adimplere contempsit. Liquet namque undecim aut plures archiepiscopales et multas episcopales sedes, abbatias quoque et alias ecclesias ad praesens in regno vacare praedicto ; easque procurante ipso, sicut aperte patet, fuisse diutus praelatorum regimine destitutas, in grave ipsarum praejudicium, et periculum animarum. Et licet forte in aliquibus ejusdem regni ecclesiis electiones sint a capitulis celebratae, quia tamen per illa eadem familiares clerici sunt electi, probabili potest argumento concludi, quod facultatem non habent liberam eligendi. Ecclesiarum autem ipsius regni non solum facultates et bona fecit prout voluit occupari, sed et cruces, calices, thuribula, et alios sacros earum thesauros et panos sericos, velut cultus Divini contemptor auferri ; licet ut dicitur, ipsis ecclesiis, exacto tamen prius pro eis certo pretio, in parte fuerint restituti. Clerici quippe collectis et taliis multipliciter affliguntur. Nec solum trahuntur ad judicium saeculare, sed, ut asseritur, coguntur subire duella ; incarcerantur, occiduntur, et patibulis cruciantur, in confusionem et obprobrium ordinis clericalia. Praefatis autem Templariis, Hospitalariis, et personis ecclesiasticis, non est de dampnis illatis eisdem et injuriis satisfactum.

…Enfin de satisfaire convenablement aux Templiers, aux Hospitaliers, et aux autres personnes ecclésiastiques sur les dommages et outrages par eux soufferts ; en effet, il est constant que 11 sièges archiépiscopaux et même plus, un grand nombre de sièges épiscopaux, d’abbayes et d’autres églises sont vacants pour le moment dans le royaume susdit, et que ces églises ont été privées longtemps par sa malveillance, comme la chose est claire, de prélats qui les gouvernassent : ce qui a été pour elles un sujet de grands dommages et un péril pour beaucoup d’âmes. Il est vrai que, dans certaines églises du même royaume, des élections ont été célébrées par les chapitres ; mais comme ces mêmes chapitres ont élu des clercs familiers du prince susdit, on peut raisonnablement en conclure qu’ils n’ont pas eu la faculté d’élire librement. De plus, non seulement il a fait saisir arbitrairement les biens et les ressources des églises du même royaume, mais encore il a fait enlever, comme un homme qui se moque du culte divin, les croix, les calices, les encensoirs, les autres vases sacrés et les étoffes de soie dont se composaient les trésors de ces églises ; et si, à ce que l’on prétend, ces objets leur ont été rendus en partie, ce n’a été qu’après avoir exigé pour cette restitution une certaine somme en échange. Les clercs aussi sont écrasés par des collectes et des tailles multipliées. Non seulement ils sont trainés devant des juges séculiers, mais encore, à ce qu’on assure, ils sont forcés d’accepter des duels judiciaires ; on les emprisonne, on les faits périr, on les attache à des potences, à la confusion et à l’opprobre de l’ordre clérical. Quant aux Templiers, aux Hospitaliers et aux personnes ecclésiastiques plus haut dites, satisfaction ne leur a pas été donnée sur les dommages et outrages qu’ils avaient soufferts.


  

       Bd - Fin 1245. On ne peut passer sous silence cet extrait qui ne concerne pas les Templiers mais les Poitevins. Tome IV page 496. Tome VI page 165.

 

Profluentibus autem temporum illorum curriculis, miseri nec miserabiles Pictavenses, quibus innata est proditio, adeo in conspectu Francorum obeorduerunt, quod filias suas nuptui tradere, nisi de licentia Francorum, non sunt aussi, nec permittebantur. Et dominantibus eis qui eos oderunt, ultimae facti conditionis, fructus viarum suarum sub jugo multiplici Aegyptiae servitutis merito reportuarunt. Poenituit ergo eos tot desirabiles argenteos ab utroque rege  roditiose recepisse, et nequiter delusum a finibus suis dominum suum naturalem extorrem expulisse, qui in perfidis fidem se credebat invenisse, et qui dum lucrum sitiebant, ad laqueum pervenerunt. Castra etiam eorumdem ad arbitrium inimicorum suorum ruitura vix sine magna redemptione stare permissa sunt, positis in eis secura Francorum custodia; quia “Serviet aeterno, qui parvo nesciet uti

Dans le même espace de temps, les Poitevins malheureux, mais non dignes de pitié car la trahison est innée chez eux, tombèrent dans un tel état d’abaissement aux yeux des Français qu’ils n’osaient ni ne pouvaient marier leurs filles qu’avec la permission des Français. Et comme ils étaient sous la domination de ceux qui les haïssaient, ils devinrent comme des serfs de la plus basse condition ; et condamnés au joug onéreux de la servitude d'Égypte, ils recueillirent justement les fruits de leurs voies. Alors ils se repentirent d’avoir reçu traîtreusement de l’un et de l’autre roi tant de sommes d’argent, objets de leurs désirs, de s’être joués méchamment de leur seigneur naturel, et de l’avoir chassé de leur pays en le dépouillant de son héritage, lui qui croyait avoir trouvé de la fidélité chez des perfides ; ils reconnurent aussi que leur soif du gain les avait fait tomber dans le piège. De plus, ce ne fut que moyennant une lourde et grosse rançon, qu’on laissa debout leur châteaux, qui devaient être ruinés au gré de leurs ennemis et encore en y plaçant de bonnes garnisons françaises. En effet « Celui là sera éternellement esclave qui ne sais pas se contenter de peu. »


 

Be - Mars 1246 - Templiers et Hospitaliers vont essayer de négocier avec le sultan du Caire Nedjm-Eddin Salech pour faire délivrer leurs prisonniers dont les Maîtres (on ne parlait pas encore de Grands Maîtres) dont ils ne connaissaient pas le sort (Celui de l’Hopital était bien prisonnier mais celui du Temple était mort ou disparu). Tome IV page 524. Tome VI page 202.

 

Et dum rotam circularem in actibus Cisalpinorum fortuna revolveret, in transmarinos Christianos eventus etiam variavit fortuitos. Templarii namque et Hospitalarii comperenties propriam miseriam, et ad se, licet sero, revertentes, statuerunt inter se orationes et jejunia praeter solita specialiter pro liberatione Terrae Sanctae devote facienda. Insuper intelligentes, quod magistri eorum, cum quibusdam militibus Templariis et aliis, detinabantur vivi incarcerati captivi captive in potestate Soldani Babiloniae, miserunt posdam de fratribus suis, quos noverant prudentiores, ad dictum Soldanum, ut cum eo efficaciter de captivorum memoratorum liberatione per redemptionem, licet multam et multum pretiosam, taxantes loquerentur, nec parcerent auri et argenti quantitati aut numero. Ad ipsi impetrata pace salvo intermeandi, primo obtimatibus Soldani numera pretiosa optulerunt, obsecrantes ut apud Soldanum pro eis diligenter intercederent, ut quantum vellet auri et argenti pro redemptione magistrorum suorum, et quorundam fratrum, quos tenebat incarceratos, acciperet. Haec autem cum Soldanus cognovisset, ipsos interpretes increpando et eosdem Templarios et Hospitalarios redarguendo, ait ; « Miseri sunt isti Chrisriani, quos dicimus Templarios et Hospitalarios, legis et ordinis sui trangressores. Primo enim voluerunt paucis transactis annis suum imperatorem F[rethericum], in servitio Christi sui peregrinantem, prodere fraudulenter, sed per propitiam pietatem nostram non praevaluerunt. Iterum, ipsi qui sese ut fratres ad invicem diligere tenerentur et in necessitatibus coadjuvare, guerram hostilem inter se et odium inexorabile jam per quinquennium continuarunt, nec poterat comes Ricardus, frater regis Angliae, qui inter Christianos habetur clarissimus, pacificare; treugasque caute ab ipso initas ipsi Templarii in conceptum dicti Ricardi,quem garcionem esse asserebant, et in contumeliam fratrum suorum, videlicet Hospitalariorum, procaciter infregerunt. Item, nuper in bello inter nos et ipsos commisso, primicerius eorum etsignifiter, quem Balcaniferum vocant, contra ordinis eorum decretum primus recalcitravit in praelio fugitivus. Nunc autem mala malis addentes, et ordinis sui transgressiones transgressionibus accumulantes, magistros ac fratres suos captivos pro magna pecuniae quantitate satagunt comparando redimere, quos non nisi pro zona quadam vel capistro, secundum ordinis eorum tenorem, novimus redimendos. Merito igitur multiplici tradidit eos Deus eorum, in manus odientium eosdem carceri mancipandos. » Et sic austero vultu et torvo aspectu recedere jussit pro eis intercedentes, asserens incarceratorum conditionem fore protinus aggravandam. Quod cum nuntiis relatum fuisset, tristes recessuri dixerunt dictis mediatoribus ; « Et quid in hoc articulo agendum est ? Dedimusne frustra vobis, in quibus speravimus, munera ? Consultatis nobis efficaciter, qualiter nostri incarcerati, quos exigimus, valeant liberari. » Responderunt interpretes ; « Vere nobis munera contulisti desiderabilia, et nos vobis proinde fidele consilium rependemus. Ecce summa negotii vestri. Procurate ut dominus imperator F[rethericus], quem, dominus noster supra omnes mortales diligit et reveretur, vel nuntio vel scripto significet domino nostro levi saltem supplicatione, et indubitanter gratis quos petitis omnes liberebuntur. » Responderunt nuntii ; « Nunquam quamdiu vitales auras attrahimus, ad hujus consilii consensum incurvabimur. » Et sic sine spe captivorum liberationis, acriter redarguti, cum confusione redierunt. Ex cujus rei tenore colligi potest, quanta familiaritas Frethericum cum dicto Soldano copulavit.

Tandis que la fortune faisait tourner sa roue circulaire dans les pays en deçà des Alpes, elle amenait aussi des évènements fortuits parmi les chrétiens d’outre-mer. En effet les Templiers et les Hospitaliers comprenant leur propre misère, et rentrant, quoiqu’un peu tard, en eux même, prescrivirent dans leurs ordres des oraisons pieuses et des jeûnes extraordinaires, spécialement pour la délivrance de la Terre Sainte. Sachant de plus que leurs (grands) maîtres, avec quelques chevaliers du Temple et autres, étaient vivants encore, et détenus comme prisonniers au pouvoir du Soudan de Babylone, ils envoyèrent quelques uns de leurs frères, ceux qu’ils connaissaient pour les plus prudents, vers le soudan susdit, afin de traiter efficacement avec lui de la délivrance des susdits captifs, par la voie d’une rançon qu’ils supposèrent devoir être considérable : aussi leur recommandèrent ils de n’épargner ni l’or ni l’argent, quelle que fût la quantité ou le nombre exigé. Les députés ayant obtenu la permission d’aller et venir en sûreté, offrirent d’abord des présents précieux aux principaux officiers du soudan, les suppliant d’intercéder activement pour eux auprès du soudan, et de le déterminer à recevoir autant d’or et d’argent qu’il voudrait, pour la rançon de leurs (grands) maîtres et de quelques uns de leurs frères qu’il tenait dans les fers. En entendant cela, le Soudan réprimanda les interprètes, et accusant à la fois les Templiers et les Hospitaliers : « Ces chrétiens, dit-il, qu’on appelle Templiers et Hospitaliers, sont des misérables qui violent à la fois leur loi et leur ordre. Car d’abord ils ont voulu, il y a peu d’années, livrer frauduleusement leur empereur Frédéric qui avait accompli un pèlerinage pour le service de leur Christ ; mais, grâce à notre piété propice, ils n’ont pas réussi dans leur dessein. Ensuite ces gens qui seraient tenus de se chérir entre eux comme des frères, et de se secourir mutuellement dans leurs besoins, ne laissent pas depuis cinq ans de se faire une guerre continuelle, et de se poursuivre les uns les autres avec une haine inexorable. Le comte Richard, frère du roi d’Angleterre, et qui est regardé comme très illustre parmi les chrétiens, n’a pu réussir à mettre la paix entre eux ; et les susdits Templiers ont rompu insolemment la trêve qu’il avait prudemment conclue, par mépris pour ledit Richard qu’ils appelaient un petit gars, et en dérision de leurs frères les Hospitaliers. De plus, dans la bataille récemment livrée entre nous et eux, leur chef, celui qui portait leur étendard, qu’ils nomment le Beauséant, a enfreint le premier les règles de leur institut, en s’enfuyant dans le combat. Mais maintenant, ajoutant maux sur maux, et accumulant violations sur violations de leur ordre, nous les voyons solliciter le rachat de leurs maîtres et de leurs frères captifs, au moyen d’une grande quantité d’argent, tandis qu’ils devaient, aux termes de leur institut n’abandonner pour cette rançon qu’une ceinture ou qu’un capuce. Ils ont donc maintes fois mérité que Dieu les livrât prisonniers entre les mains de ceux qui les haïssent. » Puis d’une voix sévère, et d’un regard courroucé, il ordonna à ceux qui intercédaient pour eux de se retirer, en assurant que la condition des prisonniers allait être aggravée sur le champ. Lorsqu’on eut rapporté cela aux députés, ils se préparèrent tristement au départ, en disant aux susdits médiateurs : « Que nous reste t’il à faire dans cette occurrence ? Nous vous aurons donc donné en vain des présents, à vous en qui nous mettions notre espoir. Conseillez-nous efficacement : dites nous le moyen d’obtenir la délivrance de nos frères prisonniers que nous réclamons. » Ceux qui leur avaient servi d’interprètes leur répondirent : « Il est vrai que vous nous avez donné des présents inestimables. Aussi voulons nous les reconnaître, en vous donnant à notre tour un conseil fidèle. Voici l’important de votre affaire. Faites en sorte que le seigneur empereur Frédéric, que notre seigneur chérit et révère au dessus de tous les mortels, intercède pour eux auprès de notre Seigneur, soit par messager soit par écrit, ne fût- ce que par une recommandation légère ; et tous ceux que vous demandez seront, sans nul doute, mis gratuitement en liberté.- Jamais, répondirent les députés, tant que nous aurons un souffle de vie, nous ne serons amenés à consentir un tel conseil. » Ainsi ils s’en retournèrent couverts de confusion, fortement réprimandés, et sans aucun espoir de délivrance pour les captifs. D’où il est aisé de conclure l’étroite liaison qui existait entre Frédéric et ledit soudan.


 

Bf - Mai 1247 - Guillaume II Longue-Epée petit fils d’Henry II se croise Tome IV page 629 puis 635. Henry II eut un fils illégitime avec Rosemonde Clifford nommé Guillaume I Longue-Epée (1176-1226). Il épousa Ela de Salisbury qui lui donna Guillaume II (1212-1250) comme fils ainé de 8 enfants. Tome VI page 345 puis 354.

 

Eodem quoque anno, episcopus Wigorniae et Willelmus Longa-spata et Galfridus de Lucy, in episcopatu Wigorniensi, et multi alii nobiles de regno Angliae, exemplo regis Francorum et nobilium de regno Francorum animati, cruce signabantur circa tempora Rogationum. Willelmus autem Longa-spata, ut de cruce signatis emolumentum, metens non ubi seminarit, prudenter ad instar comitis Ricardi colligeret, Romanam curiam adiit, et super negotio suo alloquens dominum Papam ait ; « Domine, videtis quod cruce signor, et in procinctu itineris paratus sum cum domino rege Francorum militare Deo Peregrinando. Magnum nomen habeo et notum, Willelmus scilicet Longa- spata, sed subest res parva. Dominum enim rex Angliae, meus cognatus et dominus naturalis, nomen mihi comitis cum substantia abstulit ; hoc tamen judicialiter et non in ira sua fecit vel impetu voluntatis, quapropter ipsum non criminor. Necesse habeo ad sinum misericordiae vestrae paternum refugere, auxilium a vobis in hac necessitate petiturus. Videmus namque nobilem virum comitem Ricardum, qui licet cruce non signetur, per optentum gratiae vestrae in hac parte nimis fructiferae, a cruce signato populo non minimam pecuniam vindemiare in regno Angliae ; et ego ex eo spem consequenter accipiens, cruce signatus et indigens, eandem mihi postulo concedendam. » Considerans igitur dominus Papa loquentis facundiam, rationis efficiam, corporis elegantiam, se ipsi favorabilem exhibuit, concedens ei in parte quae postulavit, latam videlicet ex aliena cute corrigiam.


Tunc etiam temporis, comes Ricardus, auctoritate domini [Papae], cujus indigentiae elam et eaute satisfecerat, a cruce signatis infinitam collegit pecuniam ; ita quod ab uno archidiaconatu dicitur sexcentas libras reportasse, harum literarum fretus auctoritate. Consimilique cautela Willelmus Longa- spata edoctus mille marcas et amplius de cruce signatis sub praetextu peregrinationis suae, quae aequanimius tolerabatur, ut praescriptum est, reportavit. Similiter quidam nobilis.

Cette même année, l’évêque de Worcester, et dans l’évêché de Worcester, Guillaume Longue-Épée et Geoffroi de Luci, ainsi que beaucoup d’autres seigneurs du royaume d’Angleterre, animés par l’exemple du roi de France et des seigneurs du royaume de France, prirent la croix vers l’époque des Rogations. Mais Guillaume Longue-Épée, voulant moissonner là où il n’avait pas semé, et lever adroitement une contribution sur les croisés, à l’instar du comte Richard, se rendit à la cour romaine, et, voulant intéresser le Pape à son affaire, lui dit : « Seigneur, vous voyez que j’ai pris la croix, et que je suis prêt à me mettre en route pour accomplir le pèlerinage, et servir Dieu avec le seigneur roi de France. J’ai un grand nom, un nom connu : car l’on m’appelle Guillaume Longue-Épée ; mais j’ai une fortune très médiocre. Car le seigneur roi d’Angleterre, mon cousin et mon seigneur naturel, m’a enlevé le titre de comte avec ma fortune. Cependant il a fait cela judiciairement et non par un mouvement de colère ou de sa seule volonté; aussi, je ne l’accuse pas. Je suis donc obligé de me réfugier dans le sein paternel de votre miséricorde, pour vous demander assistance dans cette nécessité. En effet, nous voyons le noble homme le comte Richard, quoiqu’il ne soit pas croisé, moissonner dans le royaume d’Angleterre une grande quantité d’argent sur la généralité des croisés, au moyen d’une permission de votre grâce, très fructueuse en cette occasion. En conséquence, moi qui ai conçu la même espérance, moi qui suis croisé et besogneux, je sollicite le même privilège. » Alors le seigneur Pape, considérant l’éloquence de celui qui lui parlait, la solidité de ses raisons et sa bonne mine, se montra favorable à sa demande, et lui accorda en partie ce qu’il sollicitait, c'est-à-dire la permission de se faire une longue courroie avec la peau d’autrui. 

 

A cette époque, le comte Richard, en vertu de l’autorité du seigneur pape, au besoins duquel il avait fourni secrètement et adroitement, leva sur les croisés des sommes considérables, au point qu’il tira, dit-on, d’un seul archidiaconat six cents livres, soutenu qu’il était par l’autorité des lettres papales. Par la même voie, Guillaume Longue-Épée, comme nous l’avons dit, se fit donner par les croisés mille marcs et même plus sous prétexte de son pèlerinage qu’il fallait accepter de bon gré. Certains nobles firent de même.


 

Bg - 13 octobre 1247 – Les Maîtres des Templiers et des Hospitaliers offrent à Henry III un vase précieux contenant le sang du Christ. Tome IV page 640. Tome VI page 359.

 

Circa idem tempus, scripsit dominus rex omnibus regni sui magnatibus, ut in festo sancti Aedwardi, videlicet translatione, quae celebratur in quindena Sancti Michaelis, jubens ut omnes et ibidem convenirent, ut jocundissimos cujusdam sancti beneficii caelitus Anglis nuper collati [rumores] exaudissent ; et praeterea ut tam gloriosi regis et martiris translationem venerarentur ; tertio, ut Willelmi de Valentia fratris sui uterini, quem ipse rex ea die baltheo cineturus erat militari cum quibusdam nobilibus juvenibus, interessent tirocinium ; ut sic festum multiplex praesentia ipsorum magnatum, tam praelatorum quam aliorum, jocundius ad regis et regni honorem, serenaretur. Die igitur [praefixo] convenientes magnates Londoniis apud Westmonasterium, certificati de die sancti Aewardi et dicti Willelmi tirocinio, sciscitabantur quinam essent illi jocundi rumores, quos ibidem forent audituri. Qui relati fuerunt fideles, et omni acceptatione digni. Magistri enim Templi et Hospitalis, cum testimonio quamplurium sigillorum, videlicet patriarchae Jerosolimitani, archiepiscoporum quoque et episcoporum, abbatum et aliorum praelatorum et magnatum de Terra Sancta, miserant quandam portionem sanguinis Dominici, quem pro salute mundi fudit in cruce, in quodam vase cristallino venustissimo, per quendam fratrem Templarium bene notum. Dominus autem rex, utpote princeps Christianissimus, ab Augusto Eraclio victoriosissimo ac piissimo imperatore, crucem sanctam exaltante, et a rege Francorum tunc superstite, crucem eandem, ut praescribitur, Parisius honorante, sumens exemplum, devoto spiritu ac contrito in vigilia sancti Ae[dwardi] in pane et aqua jejunans, et nocte vigilans cum ingenti lumine et devotis orationibus se ad crastinam solempnitatem prudenter praeparavit.

 

Praecepit igitur dominus rex, ut omnes presbyteri Londoniarum festive vestiti superpel liciis et capis, cum suis clericis decenter vestitis, cum vexillis, crucibus, et cereis accensis, die crastina, videlicet sancti Ae[dwardi], summo mane ordinate et reverenter convenirent apud Sanctum Paulum. Quo et ipse rex venit, et cum summo honore et reverentia ac timore accipiens illud vasculum cum thesauro memorato, tulit illud ferens in propatulo supra faciem suam, iens pedes, habens humilem habitum, scilicet pauperem capam sine caputio, Praecedentibus vestitis praedictis, sine pausatione, usque ad ecclesiam Westmonasterii, quae distat ab ecclesia Santi Pauli circiter uno miliari. Nec praemittendum, quod ambatus manibus illud deferens, cum per stratam salebrosam et inaequalem pergeret, semper vel in caelum vel in ipsum vas lumina tenebat defixa. Supportatur autem palla per quatuor bastas. Supportabantque duo coadjutors brachia sua, ne in tanto forte labore deficeret. Conventus autem Westmonasterii, cum omnibus qui convenerant, episcopis,abbatibus, et monachis, qui plus quam centum aestimabantur, canentes et exultantes in spiritu sancto et lacrimis, occurebant eidem domino regi sic adventanti, usque ad portam curiae episcopi Dunelmensis. Tunc autem reversi sicut ierant, videlicet processionaliter, ad ecclesiam Westmonasterii, vix in ea prae copiosa turbae multitudine continebantur. Nec adhuc cessabat dominus rex, quin indefessus ferens illud vas, ut prius, circuire[t] ecclesiam, regiam, et thalamos suos. Demum illud quasi donum impretiabile, et quod totam Angliam ditando illustraverat, donavit et optulit Deo etecclesiae Sancti Petri Westmonasterii, et caro suo Ae[dwardo] et sacro conventui, qui ibidem Deo et sanctis suis ministrant.


Dominus episcopus Norwicensis, qui et Missam eadem die sollempniter celebravit, populo praedicando asseruit, quod inter sacra quae inter mortales habentur, sacralissimus quid est sanguis Christi. Est enim pretium mundi, et ejus effusio salus generis humani ; et ut condigne illud magnificaret amplius, addidit illud philosophi, « Omne propter quod, dignius quam illud quod. » Revera crux sancta sanctissimum quid est. Sed ipsa sacra fuit propter sacratioris sanguinis aspersionem, non sanguis sacer propter crucem. Et haec eum dixisse credimus, ut in possessione tanti thesauri non minus gaudeat et glorietur Anglia quam Francia in adeptione sanctae crucis, quam dominus rex Francorum non immerito diligit, et super aurum et topazion amplectitur et veneratur. Et addidit, quod pro maxima domini regis Angliae, qui dinoecitur esse inter omnes Christianitatis principes Christianissimus, missus fuit ille thesaurus impretiabilis ex parte domini patriarchae Jerosolimitani, cujus rei certitudo sufficienter examinatur, reverentie et sanctitate, ut plus in Anglia veneraretur quam Siria, quae jam paene derelinquitur desolata ; viget enim ibi plus fides et sanctitas, ut novit mundus, quam [in] aliqua alia regio[ne] per totius mundi latitudinem.

 



Cum autem examinaretur, et alii tardicordes ad credendum adhunc haesitarent, ait dominus Theodoricus, prior Hospitalis Jerosolimitani, episcopis et aliis circumsedentibus ; « Domini carissimi, quid adhunc fluctuatis ? Exigitne ob hoc beneficium aliquis nostrum, vel Templarius vel Hospitalarius, vel etiam frater qui portavit, vel de domino rege vel alio aliquo, aliquam in auro vel argento retributionem, vel quantulumcunque premium ? » Et rex ; « Nequaquam. » Et frater ; « Quare ergo in dampnationem animae suae tot et tanti viri tali assertioni perhiberent testimonium, apponentes signa sua, quae sunt fidei pignora manifesta ? » Et approbata fuerunt verba, licet laici, ab universis, tam episcopis quam aliis auditoribus. Sed nunc ad propositum redeamus. Cum autem satis eleganter dictus episcopus in sermone perorasset, annuntiavit populo exultanti, quod quicumque ad sacratissimum sanguinem illic habitum venerandum convenirent, gratuita ex concessione omnium qui illuc venerant praelatorum, sex annorum et centum et sexdecim dierum veniam de injuncta sibi poenitentia libere consequerentur. Et cum inter loquendum aliqui de assidentibus obgrunnirent haesitantes, quaestionem hanc moverent ; « Quomodo cum plene et integraliter tertia die post passionem « resurrexerit Dominus, sanguinem in terra reliquerit ? » Quae quaestio ab episcopo Lincolniensi ad unquem tunc determinabatur, prout habetur scriptum in libro Additamentorum ; prout hujus paginae [scriptor] audivit, et verbo ad verbum satis dilucide Scripsit, ad tale signum 72. Et dum tanta solempnitas in ecclesia Westmonasterii magnifice continuaretur, dominus rex veste de aurata facta de pretiosissimo baldekino, et coronula aurea, quae vulgariter garlanda dicitur, redimitus, sedens gloriose in solio regio, jussit advocari fratrem suum uterinum cum suis sodalibus quamplurimis, qui cum eo statim fuerant, arma, prout decuit, fastigiose suscepturi. Ipsumque dominus rex cum aliis commilitonibus baltheo militari gaudenter insignivit. 

 

 

Et dum rex, ut praelibatum est, sederet in sede sua regia, videns illum qui et haec scripsit, advocavit eum, et praecepit residere in gradu qui erat medius inter sedile suum et aream, dicens ei, « Vidistis haec omnia, et visa firmiter tuo cordi impressisti ; » et ille, « Etiam domine, quia dignum retineri, vere gloriosa dieta ideo hic peracta est. » Et addidit ; « Vere hodie certificor quod Dominus in arram uberioris beneficii et virtutum futurarum per sui gratiam unum miraculum gloriosum profecto dignatus est operari. Et hoc contigit summo mane, et super hoc congratulor. Supplico igitur et supplicando praecipio, ut te expresse et plenarie scribente haec omnia scripto notabili indelebiliter libro commendentur, ne horum memoria aliqua vetustate quomodolibet in posterum deleatur. » Invitavit etiam ipsum, cum quo haec locutus est, ad prandium, cum sociis scilicet tribus. Et eadem die omnes qui advenerant monachos cum conventu Westmonasterii in refectorio cum aliis nonnullis, ordinate et slendide procurando, refici regiis sumptibus imperavit.

Vers le même temps, le seigneur roi écrivit à tous les seigneurs de son royaume de se réunir [à Londres] le jour de la fête de Saint Édouard, c'est-à-dire le jour de la translation, qui est célébrée dans la quinzaine de la Saint Michel, afin d’y apprendre de très joyeuses nouvelles au sujet d’un saint bienfait dont Dieu venait de gratifier l’Angleterre, ensuite pour honorer la translation d’un roi et d’un martyr si glorieux ; en troisième lieu pour assister au noviciat de Guillaume de Valence son frère utérin à qui il devait ceindre lui-même de jour là le baudrier militaire, ainsi qu’à quelques nobles jeunes gens ; de telle façon que cette triple fête soit rendue plus joyeuse et plus sereine encore, pour l’honneur du roi et du royaume, par la présence de tant de seigneurs, tant prélats que laïques. Les grands s’étant donc réunis à Westminster au jour fixé, et étant instruits de la fête de Saint Édouard et du noviciat du dit Guillaume, se demandèrent quelles étaient ces joyeuses nouvelles qu’ils devaient apprendre en ce lieu. Or, ces nouvelles étaient fidèles et dignes de toute créance. En effet, les maîtres du Temple et de l’Hôpital, appuyés du témoignage du patriarche de Jérusalem et d’un grand nombre d’archevêques, d’évêques, d’abbés et autres prélats seigneurs de Terre Sainte, avaient apposé leurs sceaux à la lettre, avaient envoyé une portion du sang du Seigneur, qui fut versé par lui sur la croix pour le salut du monde, dans une fiole de cristal richement ciselée, dont un frère Templier bien famé était porteur. Or le seigneur roi, prenant exemple sur l’auguste Héraclius, très victorieux et très pieux empereur, qui avait exalté la sainte croix, et sur le roi de France, alors vivant, qui adorait la même croix à Paris, comme nous l’avons dit plus haut, jeûna au pain et à l’eau avec dévotion et contrition de cœur, la veille de saint Édouard , veilla pendant la nuit, et resta en oraisons au milieu d’une profusion de cierges, pour se préparer convenablement à la solennité du lendemain.

 

 

 

Le seigneur roi ordonna donc que tous les prêtres de Londres, revêtus de leurs habits de fête, c'est-à-dire du surplis et de la chape, accompagnés de leurs clercs décemment vêtus, et portant bannières, croix et cierges allumés, se rassemblassent à Saint Paul, le lendemain, jour de Saint Édouard, de grand matin, en bon ordre et avec recueillement. Le roi s’y rendit aussi ; il reçut, avec toutes les marques d’honneur, de respect et de crainte la fiole, qui contenait le trésor susdit, et la porta en public au dessus de son visage, allant à pied et vêtu d’un humble habit, c'est-à-dire d’une pauvre chape sans capuce, précédé des prêtres de Londres dans l’appareil susdit, jusqu’à l’église de Westminster, qui est éloignée d’un mille environ de l’église de Saint Paul, sans faire aucune pause. Et l’on ne doit point passer sous silence que, tandis qu’il traversait une rue d’un terrain inégal et raboteux, portant la fiole des deux mains, il ne détacha point ses regards du ciel ou de la fiole où il les tenait fixés. Le dais était suspendu sur quatre bâtons : deux personnes étaient aux cotés du roi pour soutenir ses bras, de peur qu’ils ne lui tombassent de fatigue. Le couvent de Westminster, avec tous ceux qui s’étaient joints à lui, évêques, abbés et moines, au nombre de plus de cent, vint à la rencontre du seigneur roi, qui arrivait ainsi, jusqu’à la porte de l’hôtel de l’évêque de Durham, en chantant, en glorifiant l’Esprit Saint et en versant des larmes; puis ils retournèrent comme ils étaient venus, c’est à dire processionnellement, à l’église de Westminster, qui pouvait à peine contenir la foule qui s’y pressait. Cependant le seigneur roi ne cessait de porter sans relâche la fiole dans la même position qu’auparavant, et avec elle fit le tour de l’église, du palais et de ses appartements. Ensuite il donna et offrit à Dieu, à l’église de Saint Pierre de Westminster, à son cher Édouard et à la sainte communauté qui sert Dieu et ses saints en ce lieu, ce présent inestimable qui avait illustré l’Angleterre.

 

 

Le seigneur évêque de Norwich, qui ce jour là célébra solennellement la messe, assura, en prêchant devant le peuple, que, parmi les choses saintes regardées comme telles par les mortels, le sang du Christ était ce qu’il y avait de plus saint. En effet, c’est le prix qu’à coûté le monde, et son effusion est le salut du genre humain ; or, pour le glorifier plus dignement encore, il ajouta et expliqua cet axiome d’un philosophe : « Toute chose à cause de quoi est plus digne que toute chose qui. » En effet, la croix sainte est quelque chose de très saint ; mais elle est sacrée à cause de l’effusion du sang, qui est plus sacré encore, tandis que le sang n’est pas sacré à cause de la croix. Aussi, nous croyons qu’il dit ces choses pour que, dans la possession d’un si grand trésor, l’Angleterre ne fût ni moins joyeuse ni moins glorieuse que la France ne l’était d’avoir obtenu la sainte croix, que le seigneur roi de France chérit à juste titre, qu’il baise et qu’il vénère, placée qu’elle est sur un coussin enrichi d’or et de pierreries. Il dit encore que, pour le plus grand honneur du seigneur roi d’Angleterre, qui est reconnu comme le plus chrétien entre tous les princes de la chrétienté, ce trésor inappréciable avait été envoyé de la part du seigneur patriarche de Jérusalem (trésor dont la certitude était suffisamment prouvée sous le rapport du respect et de la sainteté), afin qu’il fût plus vénéré dans l’Angleterre que dans la Syrie, qui déjà était presque tout entière abandonnée à la désolation : qu’en effet la foi et la sainteté, l’univers le sait, étaient plus en vigueur en Angleterre qu’en aucun autre pays de toute l’étendue du monde.

 

Or, tandis qu’on examinait [la certitude de cette relique], et que quelques personnes lentes de cœur hésitaient encore à y croire, le seigneur Thierry, prieur de l’Hôpital de Jérusalem, prit la parole, et dit aux évêques et aux autres assistants : « Très chers seigneurs, pourquoi hésitez vous encore ? Quelqu’un de nous, ou Templier, ou Hospitalier, ou même le frère qui a apporté la relique a-t-il exigé pour ce bienfait aucune rétribution en or ou en argent ou la plus petite récompense du seigneur roi, ou d’un autre, ou de qui que ce soit ?- Nullement, » dit le roi. Alors le frère : « Pourquoi donc tant et de si honorables hommes auraient ils porté témoignage pour une pareille assertion, à la damnation de leur âme, apposant à la lettre leurs sceaux, qui sont des gages manifestes de bonne foi. » Et ces paroles, quoique étant d’un laïque, furent approuvées de tous, tant évêques qu’autres auditeurs. Mais revenons à notre propos. Quand le susdit évêque fût donc arrivé à la péroraison de son sermon, il annonça au peuple transporté de joie que tous ceux qui viendraient adorer le sang très sacré déposé en ce lieu, obtiendraient librement, par la concession gratuite de tous les prélats rassemblés à Westminster, la remise de la pénitence qui leur aurait été imposée, remise qui serait valable pour six ans et cent quarante jours (160 ?). Cependant, au milieu de ce sermon, quelques uns des assistants, peu convaincus, murmurèrent et soulevèrent entre eux cette question : « Puisque le troisième jour après la passion, le Seigneur est ressuscité pleinement et intégralement, comment a-t-il laissé de son sang sur la terre ? » Or, à la même époque, cette question fut complètement résolue par l’évêque de Lincoln, comme on en trouvera le détail au livre des Additamenta ; car l’auteur de cette histoire a entendu cette décision et l’a transcrite mot pour mot aussi clairement qu’il a pu. Tandis qu’une si belle solennité se continuait magnifiquement dans l’église de Westminster, le seigneur roi, revêtu d’un habit brodé d’or, fait du baldaquin le plus précieux, et la tête ornée d’une légère couronne d’or, qu’on appelle vulgairement guirlande, s’assit glorieusement sur le trône royal et ordonna qu’on appelle [Guillaume de Valence] son frère utérin et les autres jeunes gens, compagnons de ce dernier, lesquels devaient être sur le champ armés chevaliers avec la plus grande pompe. Puis le seigneur roi ceignit le baudrier militaire au dit Guillaume et à ses compagnons.

 

Pendant que le roi, comme nous venons de le dire, était assis sur son trône royal, il aperçu l’auteur de cette histoire, et l’ayant fait venir, il lui ordonna de s’asseoir sur le gradin qui était entre son trône et le pavé, puis il lui dit : « Tu as vu toutes ces choses et tu as gravé profondément dans ton cœur ce que tu as vu.- Oui seigneur, reprit l’autre, car ce sont des choses dignes d’être retenues. Voila certes une glorieuse journée de passée. » Le roi ajouta : « C’est aujourd’hui que je suis vraiment certain que Dieu a daigné, sans nul doute, opérer par sa grâce un miracle glorieux qui nous promet des bienfaits plus abondants et des vertus futures. Et cela est arrivé de grand matin, et je m’en réjouis fort. Je te supplie donc, et je joins à mes supplications l’ordre d’écrire exactement et pleinement tout cela, d’insérer dans ton livre, d’une manière ineffaçable, les détails notoires de ce que tu as vu, afin que le souvenir ne s’en puisse perdre en aucune façon dans l’éloignement des temps à venir. » Il invita ensuite au festin celui avec qui il avait eu cette conversation, ainsi que trois de ses compagnons. Et ce même jour, il ordonna et eut soin qu’un repas somptueux et splendide fut servi, à ses frais, dans le réfectoire, au couvent de Westminster, à tous les moines qui étaient venus à la cérémonie, et à plusieurs autres.



 

Bh - 13 octobre 1247. Travail de Robert Grosse-Tête évêque de Lincoln sur l’authenticité de la relique à partir d’un évangile apocryphe Additamenta VI page 138 N° 72. Tome VI page 541.

 

Sic igitur devoluta fuit hujus carissimae rei possessio, de patribus in filios et de amicis ad amicos, videlicet inter nobilissimos, quod post multorum annorum curricula devenit ad possessionem patriarchae Jerosolimitani, utpote thesaurus ecclesiae, cui praeesse patriarcha dinoscitur anno gratiae MCCXLVII. Qui tum propter discrimen Terrae Sanctae quam tunc timuerunt amittere Christiani, tum propter hoc, quod regem Angliae Christianissimum cognoverunt et ipsam terram Christianissimam, memoratus patriarcha de consilio suotum suffraganeorum magistrorumque militiae Templi et Hospitalis, et aliorum nobiliumtransmarinorum, qui in testimonium veritatis vel sigilla sua apposuerunt vel assertionem mandati transmiserunt, saepedictum thesaurum sanguinis memorati piissimo regi Angliae Henrico tertio, ut sub ejus tutela dignius veneraretur et tutius reservaretur, prudenter duxit transmittendum, et non pro alicujus commercii retributione, immo in merae caritatis liberalitatae, conferendum. Unde asserunt nonnulli, quod generosiori modo possidet illud munus rex Angliae H[enricus] tantaeque dignitatis reliquias quam rex Francorum suas, quas paucis antea annis evolutis institorie adquisivit. Et si sancta nimis sit crux vera, propter contactum sancti corporis Christi, et corona, et lancea, et clavi, multo sanctior fuit sanguis ipse Christi ; precium videlicet humenae redemptionis, quia proper cruorem et in cruore sanctificata est crux et caetera ; et non cruor propter crucem cel propter alia Passionis instrumenta.

C’est ainsi que la possession de ce trésor inestimable fut dévolue des pères aux fils, et des amis aux amis. Après un laps de plusieurs années, pendant lequel il était passé aux plus nobles personnages, il vint, l’an de grâce 1247, en la possession du patriarche de Jérusalem pour être le trésor de l’église que ce patriarche gouverne, comme on sait. Or, tant à cause du péril de la Terre Sainte, que les chrétiens craignaient alors de perdre, que parce que le roi d’Angleterre était regardé comme le plus chrétien des rois et l’Angleterre comme le plus chrétien des pays, le patriarche, sur l’avis des suffragants, des maitres de la milice du Temple et de l'Hôpital et des autres nobles d’outre-mer, qui, en témoignage de la vérité, ou apposèrent ou adressèrent leur assertion par écrit, jugea à propos, dans sa prudence, d’envoyer le susdit trésor du sang du Christ au très pieux roi d’Angleterre Henri troisième, pour que sous sa tutelle il fût vénéré plus dignement et gardé plus sûrement, et de lui conférer ce présent, non pas en rétribution d’aucun commerce, mais en libéralité de pure charité. Aussi quelques uns assurent que le roi d’Angleterre Henri possède d’une manière plus généreuse ce présent et ces reliques si éclatantes que le roi de France ne possède les siennes qu’il a acquises comme un courtier, peu d’années auparavant. S’il est juste de dire que la vraie croix est fort sainte, ainsi que la couronne, la lance et les clous, à cause du contact du saint corps du Christ, le sang même du Christ, prix de la rédemption humaine, est beaucoup plus saint encore, puisque la croix et le reste ont été sanctifiés à cause du sang et dans le sang et que ce n’est point le sang qui a été sanctifié à cause de la croix ou des autres instruments de la passion.


 

Bi - Avril ou début mai 1249, A Chypre, Saint Louis calme les esprits. Tome V page 71. Tome VI page 479.

 

Rex interim Francorum, sano et sancto fretus consilio, multos magnates tam in Cipro, quam in aliis Christianorum climatibus, discordes, et Templarios et Hospitalarios plenius pacificavit, ut securius, nullis post terga relictis offendiculis, iter arriperet inchoatum.

Pendant ce temps, le roi de France, mû par de saines et saintes intentions, s’occupa de réconcilier un grand nombre de seigneurs tant en Chypre que dans les autres contrées chrétiennes, et de mettre pleine paix entre les Templiers et les Hospitaliers qui étaient en discorde, afin de continuer avec plus de sécurité son voyage commencé, et ne laissant aucun obstacle derrière lui.


 

Bj - Mai 1249 de fausses nouvelles circulent en Europe annonçant la prise du Caire. Les Templiers en sont accusés. Tome V page 87. Tome VI page 501.

 

Ce texte fait référence à la lettre envoyée par Nicolas de la Hyde (Templier anglais) à l’abbé de Saint Alban. Tome VI addimenta page 167 référence L8

 

Item tempore sub eodem, alii rumores umbratiles et ficti ad consolandum Christianos et forte ad animandum cruce signatos, ut transferantes regem Francorum sequerentur, cismarinorum regna pervolarunt. Horum principalis seminator fuit episcipus Massiliensis ; similiter et quidam Templarii, praeclari, unde magis credebantur fabulae scriptis sub sigilis commendatae ; sed quando rei veritas innotuit, magis et anxius sauciabant.

Vers la même temps aussi, d’autres nouvelles peu véridiques et faites plutôt pour consoler les chrétiens et peut être pour animer les croisés à passer la mer à la suite du roi de France, se répandirent dans les pays en deçà de la mer. Ceux qui propagèrent surtout ces nouvelles, furent l’évêque de Marseille et quelques Templiers de marque : ce qui faisait qu’on ajoutait plus de foi à des fables consignées par écrit et scellées de plusieurs sceaux ; mais quand la vérité fut connue, l’inquiétude ne fut que plus grande et plus vive.


 

Bk - Voir aussi la lettre de l’évêque de Marseille (Benoît d’Alignano) au pape Innocent IV référence L9. Additamenta VI page 168 N° 87. Il semble par cette lettre que la fausse nouvelle ait été propagée par les Hospitaliers plutôt que par les Templiers. Ces rumeurs sont antérieures à la prise de Damiette le 6 juin 1249. Le classement chronologique de cette lettre dans le Tome VI est curieux, en effet elle se trouve après celle du comte d’Artois (N° 80) sur la prise de Damiette et datée du 23 juin 1249 mais avant celle d’Innocent IV (N° 88) datée du 7 juillet 1249 ce qui démontre bien qu’elle est bien de 1249 pour Matthieu Paris. D’Archery la date aussi de 1249 alors que Peter Jackson la pense de 1250 (« The seventh crusade » page 97 à 99).

 

 

Bl - Certainement par erreur, Matthieu Paris répète le fait en mars ou avril 1250 alors que la lettre de l’évêque de Marseille est datée de mai donc forcément de 1249. Tome V page 118. Tome VII page 33

 

  

Temporibus quoque sub eisdem, ad vanam consolationem Christianorum, vel ad animandum crucesignatos, iter peregrinationis suae prorogantes, transmissae sunt literae umbratiles a Terra Sancta, confectae a viris autentis et fidedignis, episcopo scilicet Marsiliensis et quibusdam Templariis, rumores jocondissimos continentes, qui auditorum credulorum [corda] vanis eulogiis exhilararunt. Quod videlicet Cairum et Babilonia capiebantur, et fugientibus Sarracenis Alexandria desolata relinquebatur. Qui dico rumores tanto plus auditores credulos in fine, more scorpionis, pungebant, quanto primo magis demulcebant blandimentis. Ex tunc igitur suspectiores, etiam veras, habuimus epistolas et exosas.

Vers le même temps, pour donner aux chrétiens une vaine consolation, ou pour animer les croisés qui différaient le moment de leur pèlerinage, des lettres rédigées par des hommes authentiques et dignes de foi, tels que l’évêque de Marseille et quelques Templiers, arrivèrent de la Terre Sainte. Elles rendaient compte des bruits qui couraient, bruits très agréables, mais qui se trouvèrent faux, et réjouissaient les auditeurs crédules par le récit de succès qui n’existaient pas : à savoir que Babylone et Le Caire étaient pris, que les sarrasins s’étaient sauvés d’Alexandrie, et que la ville était abandonnée à la désolation. Ces nouvelles, dis-je, percèrent d’autant plus cruellement à la fin, comme fait le dard du scorpion, le cœur des auditeurs crédules, que d’abord elles les avaient flattés par de plus douces espérances. Désormais nous regardâmes comme encore plus suspectes, et même comme haïssables, des lettres qui pourtant se trouvaient bien informées.


 

Bm - Juin 1249. Récit de la prise de Damiette (6 juin) tiré de la lettre de Gui vassal du vicomte de Melun à son frère utérin maître Benoît de Chartres L6. Additamenta VI page 155 N° 81. Tome VI page 561.

 

Propitiante igitur nobis divina munificentia, exercitus Christianus ad instar sragni, quod ex torrentibus inundantibus suscipit incrementum, cotidie dilatatur ; hinc militia de partibus domini de villa Herlewini, hinc de militia Templi et Hospitalis nobis subsidium, absque peregrinorum adventu, diatim per Dei gratiam accumulatur subsidium. Veruntamen ipsi de Templo et Hospitali de gloria tanti triumphi credere diu noluerunt ; quia revera nulli fuit credibile quod evenit. Quia igitur haec miraculose evenerunt, praecipue quod ventus suum ignem infernalem in sua capita reverberavit regressus, et hoc fuit de antiquis Christi miraculis quia sic Antiochae evenit, conversi sunt aliqui ad Dominum Jesum Christum, et fideliter nobis hactenus adhaeserunt.

 La munificence divine nous étant donc propice, l’armée chrétienne s’accroit de jour en jour comme un étang, dont les eaux se grossissent par l’inondation des torrents : tantôt c’est la chevalerie des domaines du seigneur de Villehardouin ; tantôt un renfort des chevaliers du Temple et de l’Hopital, sans compter les pélerins qui arrivent en foule, de sorte qu’à chaque instant nos frères s’accroissent par la grâce de Dieu. Cependant ceux du Temple et de l’Hopital ont refusé longtemps d’ajouter foi à un triomphe si grand et si glorieux. En effet, ce qui est arrivé parait incroyable à tout le monde. Toutes ces choses sont arrivées miraculeusement, surtout quand on a vu le vent changeant de direction rejeter sur la terre des infidèles le feu infernal qu’ils avaient allumé ; et c’était là un des ancien miracle du Christ, puisque pareille chose est arrivée à Antioche. 


 

Bn - 1249 Récit de la prise de Damiette (6 juin) tiré de la lettre de Guillaume de Sonnac à Robert Sanford maître des Templiers en Angleterre. Additamenta VI page 162 N° 82. Tome VI page 563.  Voir la référence L7.

 

Bo - Juillet 1249, Départ des nobles anglais et de Guillaume Longue-Epée, arrivée à Damiette et début des tensions avec les Français. Tome V page 76. Tome VI page 486.

 

Tempore quoque sub eodem, multi nobiles de regno Anglorum, videlicet Willelmus Longaspata, Robertus de Vaer, signifer ejus, et multi alii nobiles, ita ut ad ducentorum equituum numerum congregati recensiti sunt, ad iter Jerosolimitanum parabantur. Willelmus igitur cum licentia et benedictione matris suae nobilis ac santae abbatiae de Acoc, dux omnium cruce signatorum de regno Angliae, mense Julio profectus, sine morae dispendio, exercitui Francorum sanus et incolumis est adjunctus. Christianissimus autem rex Francorum suscepit ipsum et suos veneranter, et cum suis specialibus annumeravit, gratias agens eis quod ei venerant in succursum ; supplicavitque suis omnibus devotissime, ne solita Francorum superbia et invidia discordiam inter ipsos et Anglos, prout auditum est in tempore regis Anglorum Ricardi, suscitaret. Sed diabolo, qui hominum successibus ab antiquo solet invidere, instigante, cum vidissent postea Franci Anglos praeminere et in multis adquisitionibus rerum et famae proficere, invidebant et obloquebantur, consuetas ironias cum cachinnis et blasphemalibus juramentis ebullientes, secundum illud poeticum, « omnisque potestas impatiens consortis erit ; » similiter quoque dici potest, « omnisque superbus impatiens consortis erit. » Quinimmo, inter ipsos Francos mutuam invidiam et odium superbia suscitavit, per quod Dominus eorum progressum minime, prout in posterum plenius dicetur, acceptavit.

Vers le même temps, beaucoup de seigneurs du royaume d’Angleterre, à savoir Guillaume Longue Epée, Robert de Vair, son porte bannière, et beaucoup d’autres nobles, qui tous ensemble formaient une troupe de deux cents cavaliers, se préparèrent au voyage de Jérusalem . Guillaume, ayant donc reçu la permission et la bénédiction de sa noble mère, la sainte abbesse de Lacock, partit au mois de Juillet comme chef de tous les croisés du royaume d’Angleterre, et vint se joindre sain et sauf, sans aucun délai fâcheux, à l’armée des Français. Le très chrétien roi de France le reçut honorablement lui et les siens, et les compta au nombre des guerriers spécialement attachés à sa personne, les remerciant vivement d’être venus à son secours. Il supplia aussi très instamment tous les siens de ne pas susciter la discorde entre eux et les Anglais, par l’orgueil et la jalousie naturelles aux Français, comme on sait que la chose eut lieu au temps du roi Richard. Mais à l’instigation du diable, qui, de toute antiquité, a coutume d’envier le succès des hommes, lorsque plus tard les Français eurent vu que les Anglais les surpassaient et faisaient de grands progrès en acquisition de richesses et de renommée, ils furent jaloux et murmurèrent, prodiguant leurs ironies ordinaires avec le ton de la dérision et des jurements de blasphémateurs, selon cette maxime d’un poète : « tout pouvoir ne peut souffrir de partage. » Et l’on peut dire semblablement : « tout orgueilleux ne peut souffrir de rival. » Bien plus, l’orgueil suscita entre les Français eux mêmes une jalousie et une haine mutuelles, ce qui fit que le Seigneur ne s'intéressa nullement à leurs succès comme on le verra plus au long dans la suite.


 

Bp - 9 Février 1250, Matthieu Paris décrit une sortie des troupes Françaises de Damiette. Les Templiers ne sont pas cités dans ce passage mais je le cite pour montrer qu’à partir de ce moment on ne peut plus ajouter foi aux dates de la Chronica Majora concernant la septième croisade puisque le 9 février la bataille de Mansourah avait eu lieu la veille.

Tome V page 105. Tome VII page 16.

 

Die vero Lunae ante diem Cinerum, exiit de castris Damiatae exercitus Francorum…

Le lundi avant le jour des Cendres, l’armée des Français sortit de Damiette…


 

Bq - Février 1250, Damiette est assiégée par les sarrasins. En proie à la faim et au découragement, les croisés se rappellent des récentes défaites du Temple en Terre Sainte. Tome V page 108. Tome VII page 20.

 

Coeperunt igitur multi, quos firma fides non roboraverat, tam desperatione et blasfemiis quam fame contabescere. Et fides, heu, multorum coepit vacillare, dicentium ad invicem ; « Utquid dereliquit nos Christus pro Quo et Cui hactemus militavimus ? Jam multotiens nostris diebus victi confundimur, et hostes nostri, immo Christi, de nostro sanguine et spoliis gloriantur triumphantes. Primo apud Damiatam civitatem istam quando Nili fluentis circumdati, compulsi fuimus Damiatam tanto sanguine adquisitam resignare. Iterum non procul ab Antiochia Templi inclita militia, signifero detruncato, victa confundebatur. Iterum a Sarracenis paucis annis evolutis apud Gazaram occubuimus, a comite Ricardo quodam Anglico post redempti. Postea vero a Chorosminis fere tota Christianorum universitas in Terra Sancta trucidabatur, qui loca omnia quae dicuntur sancta polluentes destruxerunt.

Un grand nombre de chrétiens, qu’une foi ferme ne fortifiait pas, se laissa autant décourager par le désespoir et par les blasphèmes que par la faim et la foi de plusieurs commença, hélas !, à chanceler ; or ils se disaient entre eux : « Pourquoi le Christ nous a-t-il abandonnés, nous qui avons combattu jusqu’ici pour lui et à son service ? Déjà maintes fois, dans ces derniers temps, nous avons été vaincus et confondus, et nos ennemis, ou plutôt ceux du Christ, se sont glorifiés en triomphe de notre sang et de nos dépouilles. D’abord pour parler de cette ville de Damiette, nous avons été forcés de la rendre après l’avoir acquise au prix de tant de sang, quand nous nous sommes vus entourés par les flots du Nil. Ensuite, non loin d’Antioche, l’illustre milice du Temple a été vaincue, et son porte bannière a eu la tête coupée. Plus tard, et peu d’année après, nous avons succombé auprès de Gazer, sous le glaive des sarrazins et nous avons été rachetés ensuite par un certain Anglais, le comte Richard. Ensuite, presque toute l’universalité des chrétiens a été massacrée en Terre Sainte, par les Chorosminiens qui ont souillé et détruit tous les lieux qu’on appelle saints.


 

Br - Juin 1250. Guillaume Longue Epée se brouille avec le comte d’Artois et se réfugie à Acre chez les Templiers et les Hospitaliers. Tome V page 130. Tome VII page 49.

 

Per idem quoque tempus, postquam scilicet rex Francorum exierat a castris Damatiae, custodia in civitate diligenti, videlicet ducis Burgundiae et quamplurimorum aliorum magnatum et militum, ac manus pedestris numerosae, simulque legato et quibusdam episcopis et clericis, necnon et regina et aliis nobilibus dominabus cum suis familiis, quia « Non minor est virtus quam quarere, parta tueri, » versus plagam Orientale miter direxit et vexilla cum exercitu. Secutus est eum dominus Willelmus Longa-Spata cum suis qui ei adhaerebant associatis, scilicet Roberto de Ver et aliis Anglicis, quos longum esset enumerare, simulque militibus et servientibus quos secum retinuerat stipendiariis.

 

Franci autem ex sibi innata superbia ipsum W[illelmum] et suos deridendo spernebant, et invisos habuerunt, licet hoc rex Francorum piissimus specialiter prohibuisset, dicens ; « Quis furor vos, O Franci, exagitat ? Quid ipsum persequimini, qui ad meum et vestrum huc de remotis partibus advenit patrocinium, qui Deo sicut et vos fideliter militat peregrinus ? » His tamen non poterat rex rationibus vel petitionibus Francorum corda, ne Anglos contempnerent et persequerentur, pacificare, secundum illud poeticum, « omnisque superbus impatiens consortis erit. » Hujus autem invidiae et odii praestitit hic casus seminarium. Quamdam nempe turrim fortissimam non procul ab Alexandria idem W[illelmus], plenam dominabus, scilicet uxoribus quorundam nobilium Sarracenorum, non vi, sed casu fortuito ac fortunato, ceperat, illud Francis penitus ignorantibus ; unde fama celebris et formido partes etiam remotas Orientalium de ipso pervolavit. Et quia multos thesauros ubique, sicut et ibi, sibi favente Marte adquisierat, et familiam suam et honores ampliaverat, quod tamen Franci, licet numerosi et potentes, non fecerant, obloquebantur invidentes et ipsum oderant persequentes, nec poterant illi quicquam pacifice loqui.


Contigit autem iterum, quod idem W[illelmus], missis cautis quos habuit exploratoribus, archano relatu didicerat, quod quidam de Orientalibus institoribus valde locupletibus irent sub pauco imprudenter conductu ad quasdam nundinas versus partes Alexandrinas, ubi certissime sua sperabant bona multiplicare. Clam igitur de nocte, suis secum cunctis assumptis viribus militaribus, illuc properavit, et repentino impetu irruit [ad] instar fulguris in incantos, unde, ipsis mercatoribus ilico trucidatis et eorum ducibus penitus dissipatis necnon aliquibus captis, omnem illam catervam, quam vulgares karvanam appellant, sibi mancipavit. Camelos videlicet, mulos, et asinos, oloserieis, pigmentis, speciebus, auro, et argento onustos, necnon et quaedam plaustra cum suis bubalis et bobus, quaedam victualia tam jumentis quam homonibus necessaria, quibus multum indigebant, cum eisdem invenerunt. Et cum multos de adversariis idem W[illelmus] peremisset et captivasset in eodem conflictu, unum solum militem et octo servientes perdidit trucidatos. Aliquos tamen reduxit sauciatos, medicamine restaurandos. Unde laetus triumphator versus exercitum opulentus remeavit.

 

Huic autem Franci, qui desides remanserant et egeni, invidiae simul et avaritiae exagitati stimulis, venienti hostiliter occurerunt, et omnia adquisita ab eodem viole,ter, more protervorum praedonum, rapuerunt, imponentes ei pro culpa sufficienti, quod ausu temerario, contra edictum regium et statuta principum de exercitu, sese contra disciplinam militarem ab universitatis comitatu superbe nimis ne stulte dissociavit. Cum autem haec audisset W[illelmus], satisfacturum se per omnia spopondit, sic ut scilicet omnia parta in victualibus universitati exercitus distribuerentur indigenti. At ipsi Franci reboantes, omnia sibi vendicantes, sibi universa non sine convitiis diripuerunt.

 

Willelmus igitur usque ad spiritus amaritudinem contristatus, tantam passus injuriam, coram rege gravissimam reposuit querimoniam, addens quod comes Atrabatensis frater ejus transgressionis et violentae depraedationis extiterit capitaneus. Rex autem, prout erat spiritu et vultu piissimus, voce demissa respondit ; « Willelme, Willelme,novit [Ille] Qui nihil ignorat, doleo de injuria et dampno tibi illatis ; formido vehementer, ne nos nostra confundat cum aliis peccatis superbia. Nosti quia grave foret mihi magnates meos in his quibus constituor periculis quoinodolibet offensos perturbare. » Et cum haec dicerentur, advenit comes Atrabatensis, elatus et inflatus tanquam furibundus, et in ira magna exaltans vocem et inordinate, et sine salutatione regis aut circumsedentium, exclamavit dicens ; « Quid sibi hoc vult, domine rex, praesumisme defendere hunc Anglicum, et vestros Francos repellere ?

 

Iste in contemptum tui et totius exercitus, suo motu solo ductus, voluntario contra nostra decreta praedas egit nocturnus et clandestinus, unde ipsius solius fama Orientalia climata, et non regis neqie suorum Francorum, jam pervolarit. Omnia nostra nomina cum titulis obfuscavit. » Quod cum audisset rex Christianissimus, versa facie et inclinato vultu versus Willelmum, voce modesta ait : « Nunc potes audire, amice. Sic cito posset oriri scisma, duod absit, in exercitu. Aequanimiter talia, et etiam his majora necesse [est] in tali temporis discrimine tolerare. » Cui Willelmus ; « Ergo non es rex, cum non possis tuos justificare et punire delinquentes, cum promittam me, si deliquerim, per omnia satisfacturum. » Et corde laesus intrinsecus, superintulit, « Tali regi de caetero non servio, tali domino non adhaerebo ; » et iratus rege admodum contristato recessit. Et Achon perveniens, ibidem per multos dies moram continuando eum suis commilitonibus, omnibus ibidem habitantibus conquerendo injuriam, quam passus [est], lacrimabiliter omnibus propalavit ; unde universos, maxime praelatos, reddidit compatientes, et Francis offensos. Unde qui sensus expertos et in negotiis bellicis habuerunt comprobatos, hoc triste praesagium fore praecinebant indubitanter futurorum, et offensam Altissimi, peccatis talibus graviter exitandam. Fertur etiam comes Atrabatensis super his dixisse cum cachinno, « Nunc bene mundatur magnificorum exercitus Francorum a caudatis. » Quod in multorum auribus offendiculum generavit.

 

 

Ex tunc autem proposuit Willelmus apud Achon morari cum civibus, Templariis, et Hospitalariis, et adventum magnatum Angliae cruce signatorum praestolari, et eisdem superbiam et injurias Francorum manifestare, et ut per se, nec admixti Francis, hostes Christi cum consilio virorum diseretorum et humilium, exhortari, potenter attemptent expugnare.

Vers le même temps, le roi de France sortit de son camp de Damiette, après avoir commis à garder vigilamment cette ville le duc de Bourgogne, une foule d’autres seigneurs et de chevaliers, et un corps nombreux de fantassins, qui devaient y rester en même temps que le légat, quelques évêques et clercs, la reine et d’autres nobles dames avec leurs suites ; car : « Il y a autant de mérite à conserver ce qu’on a acquis, qu’à faire de nouvelles conquêtes. » Il prit sa route vers l’orient et dirigea de ce coté ses bannières et son armée. Il était accompagné du seigneur Guillaume Longue Epée et de ceux qui s’étaient attachés à la fortune du dit comte, tels que Robert de Ver et autres anglais qu’il serait trop long d’énumérer, ainsi que des chevaliers et des sergents qu’il avait retenus à sa solde.

 

Cependant, les Français, avec leur orgueil ordinaire, se moquaient de Guillaume et des siens, les méprisaient et les avaient en haine, quoique le très pieux roi de France le leur eût défendu spécialement, en disant : « Quelle fureur vous transporte, Ô Français ? Pourquoi persécutez vous ce guerrier, qui est accouru à mon secours et au vôtre de pays forts éloignés, et qui, pèlerin comme vous, combat fidèlement pour le service de Dieu ? » Mais le roi, par toutes ces raisons et ces sollicitations, ne pouvait amener le cœurs des Français à ne pas mépriser et persécuter les Anglais, selon cette parole d’un poète : « Tout orgueilleux ne peut souffrir de partage. » Or, voici ce qui avait donné lieu à cette jalousie et à cette haine. Le même Guillaume s’était emparé, non par force, mais par un coup de hasard et de fortune, d’une tour très forte, située non loin d’Alexandrie, et remplie de dames qui étaient les épouses de plusieurs nobles sarrasins, sans que les Français eussent aucune connaissance de cette prise. Aussi sa grande renommée et la crainte qu’il inspirait parvinrent même jusque dans les pays les plus reculés de l’orient. Comme il avait acquis partout, ainsi qu’en ce lieu, grâce aux faveurs de Mars, de grands trésors, et avait enrichi ses chevaliers et ses hommes, ce que les Français tout nombreux et puissants qu’ils étaient, n’avaient pu faire, ceux-ci murmuraient par envie, le haïssaient, le persécutaient, et ne pouvaient même lui parler sans colère.

 

 Or, il arriva une autre fois que le même Guillaume, ayant fait partir des espions adroits qu’il avait avec lui, apprit, par leur rapport secret, que quelques marchands orientaux extrêmement riches se rendaient imprudemment avec une petite escorte, à une foire qui se tenait près d’Alexandrie, où ils espéraient pour sûr augmenter leurs biens. Guillaume, ayant donc pris avec lui tous ses chevaliers, partit secrètement pendant la nuit vers le lieu indiqué et tomba comme la foudre sur ces marchands surpris à l’improviste ; ils furent massacrés sur le champ, leurs conducteurs furent mis en fuite, quelques uns faits prisonniers, et Guillaume se saisit de tout ce convoi, que l’on appelle vulgairement caravane. Il s’empara en outre de chameaux, de mulets, d’ânes chargés de pièces de soie, de piment, d’épiceries, d’or et d’argent, ainsi que de quelques chariots avec leur attelages de buffles et de bœufs, et de provisions aussi nécessaires aux chevaux qu’aux hommes, dont lui et sa troupe manquaient absolument. Le dit Guillaume, après avoir tué et fait prisonniers, dans cette rencontre, un grand nombre de ses adversaires, n’eut à regretter la mort que d’un seul chevalier et de huit sergents. Il ramena cependant quelques uns des siens blessés, mais de manière à être guéris par les médecins. Aussi, joyeux et triomphant, revint-il vers l’armée chargé de dépouilles.

 

A cette vue, les Français, qui étaient restés dans leur inaction et leur pauvreté, stimulés à la fois par les aiguillons de l’envie et de l’avarice, allèrent à sa rencontre à main armée et lui enlevèrent par la force, comme des brigands sans pudeur, tout ce qu’il avait conquis ; donnant comme excuse suffisante de cette violence, que, dans son audace téméraire, il s’était séparé, aussi orgueilleusement que sottement, du reste de l’armée contre l’édit du roi, les arrêtés des chefs et la discipline militaire. En entendant ce reproche, Guillaume promit de donner satisfaction en tous points, de telle façon que tout ce qu’il avait acquis en fait de vivre serait distribué aux besogneux de l’armée, tous tant qu’ils étaient. Mais les Français, élevant la voix et réclamant toute la prise pour eux, mirent au pillage, avec force injures, tout ce que Guillaume rapportait.

 

Alors Guillaume, attristé jusqu’à une vive amertume de cœur, et indigné d’un pareil outrage, alla se plaindre très amèrement au roi, ajoutant que le comte d’Artois, son frère, avait dirigé les auteurs de cet attentat et de cette déprédation violente. Mais le roi, avec sa piété habituelle, et sa sérénité de cœur et de visage lui répondit à voix basse : « Guillaume, Guillaume, le Seigneur le sait, lui qui n’ignore rien, je redoute grandement, à la vue du dommage et de l’outrage que tu as soufferts, que notre orgueil, joint à nos autres péchés, ne nous confonde. Mais tu sais que, dans les circonstances périlleuses où je suis placé, il serait fâcheux pour moi de troubler et d’offenser en aucune façon mes seigneurs. » Tandis qu’il disait ces choses, le comte d’Artois arriva, l’air fier et gonflé comme un furieux, et , dans sa colère, élevant la voix de manière inconvenante, et sans saluer le roi, ni aucun des assistants, il s’écria : « Que veut dire cela, seigneur roi ? As-tu la prétention de défendre cet Anglais, et de repousser les Français qui sont tes féaux ?

 

Cet homme, au mépris de toi et de toute l’armée, guidé par son seul mouvement, de sa propre volonté et malgré nos statuts, est allé faire du butin clandestinement et pendant la nuit ; aussi on ne parle que de lui seul dans les climats d’orient. Quant au roi de France et à ses hommes, il n’en est pas question. Il a fait pâlir nos noms et nos titres de gloire. » En entendant cela, le roi très chrétien, tournant sa face et penchant son visage du coté de Guillaume, lui dit d’un ton modeste : « Tu peux l’entendre toi-même, mon ami, cela pourrait bientôt donner lieu à un schisme, ce dont Dieu garde l’armée. Il est nécessaire, dans une position aussi difficile de supporter avec sang froid de pareilles choses ou même des choses plus pénibles. » Alors Guillaume : « Tu n’es donc pas roi, puisque tu ne peux tirer justice des tiens et punir les délinquants, tandis que moi je promets de donner satisfaction en tous points, si j’ai failli. » Puis, blessé profondément dans son cœur, il ajouta : « A l’avenir je ne servirai plus un tel roi, je ne m’attacherai plus à un tel seigneur. » Et il se retira fort irrité, laissant le roi dans un grand chagrin. De là il se rendit à Acre, et y séjourna de nombreux jours avec ses compagnons d’armes, se plaignant de son injure à tous les habitants, et leur exposant publiquement, et avec larmes, le motif de son départ. Aussi tous ceux qui l’écoutèrent, et surtout les prélats, compatirent à sa douleur et détestèrent les Français. Les gens sensés et expérimentés dans les affaires de la guerre prédisaient que, sans nul doute, cela était d’un triste présage pour l’avenir, et que la colère du Très Haut devait être excitée gravement par de telles offenses. On rapporte même qu’après le départ du comte Guillaume, le comte d’Artois se prit à dire, avec de grands éclats de rire : « C’est bien, maintenant la noble armée des Français est purgée de tous ces gens à queue; » ce qui excita l’indignation dans le cœur de plusieurs.

 

Depuis ce moment, Guillaume résolut de demeurer à Acre, avec les citoyens, les Templiers et les Hospitaliers, d’y attendre l’arrivée des seigneurs d’Angleterre, qui avaient pris la croix, de les avertir de l’orgueil et des injustices des Français, et de les exhorter puissamment à tenter par leur propres forces, et sans se joindre aux Français d’attaquer les ennemis du Christ, avec le conseil d’hommes discrets et humbles.


Vers le même temps, comme des bruits agréables, mais faux, avaient couru sur la prise du Caire et de Babylone, et que tous les occidentaux se réjouissaient de la ruine d’Alexandrie et de consolations qui furent vaines, il fut reconnu que la cause primitive, et l’origine de ces rumeurs fut celle que nous allons raconter, et qui exige une narration prolixe, mais infructueuse…

 

Bs - Juin 1250. Matthieu Paris revient un an en arrière pour expliquer que le sultan ayant fait pendre le commandant des troupes qui avaient abandonné Damiette, son frère commandant au Caire s’était proposé de se convertir et de libèrer quelques prisonniers pour annoncer à Louis IX son intention de livrer le Caire et Babylone par traitrise. Parmi ces prisonniers quelques Templiers capturés à Gaza. Pour la troisième fois Matthieu Paris revient sur les fausses nouvelles de la prise du Caire en les expliquant par ce fait (la lettre de l’évêque de Marseille, si elle est correctement datée, est cependant antérieure au fait incriminé !). Louis IX supplie alors Guillaume Longue Epée de revenir d'Acre pour lui révéler la bonne nouvelle. Tome V page 139. Tome VII page 60.

 

Temporibus insuper sub eisdem cum rumores jocundissimi sed vani de captione Kairi et Babiloniae inerebuissent, simulque de desolatione Alexandriae, et vanis consolationibus omnes Occidentales demulcerent, compertum est talem fuisse causam et originem, quae prolixam tamen exigunt narrationem sed infructuosum…


 

Bt - Suit la narration, effectivement prolixe, de la prise de Damiette et la pendaison du commandant des sarrasins. Tome VII page 62.

 

Haec autem cum audisset frater ejus, custos videlicet Kairi, qui multo tempore antea cor habuit Christianae legi consentaneum, occulte tamen propter metum paganorum, secreto fecit evocari quosdam quos tenuit in vinculis captivos, scilicet Templarios, Hospitalarios, et quosdam Francos nuper apud Gazaram in bello captos…

A cette nouvelle, le frère de cet officier, qui était gardien du Caire, et qui, dès longtemps auparavant, avait le cœur bien disposé en faveur de la loi chrétienne, mais s’en cachait par crainte des païens, fit secrètement appeler quelques captifs qu’il tenait dans les fers, à savoir des Templiers, des Hospitaliers, et plusieurs Français pris récemment à la bataille de Gazer...


 

Bu - L’officier propose de trahir au profit des croisés.

 

Ipsi igitur captivi, jam in primum veritatis argumentum liberati, admodum laetabundi, regem clanculo statim adierunt, et quia fidedigni et noti extiterant haec referentes, credi per omnia meruerunt. Rex autem haec audiens, prohibuit ne haec alicui revelarentur, donec suum propositum certius ordinaretur. Doleus autem quod per absentiam Willelmi Longae-Spatae et suorum, qui injuriam enormem toleraverant, suus mutilaretur pro magna parte exercitus et scandalizaretur, misit festinater pro eo, ut veniret, omnem de laesione sibi illata satisfactionem suscepturus. Et addidit in fine mandati : « et jocundos rumores auditurus, quos eventus sequetur diu desideratus et gaudium adoptatum, cujus te volumus esse participem ac desideramus. » Et exiit hic sermo inter incolas terrae illius, inter cives Aconenses divulgatus. Willelmus igitur mandato tanti principis, maxime propter finalem additionem, venit cum omni comitatu suo ad regem. Qui postquam ex relatione regis exultantis memorati tribuni mandatum cognovisset, prae gaudio concepto omnem suis debitoribus remisit injuriam et rancorem. Ex his autem quidam secretorum perscrutatores et festini eulogiorum nuntiatores, quasi jam essent de promissis possessores, amicis suis, quos exhilarare cupiebant, epistolis vanis significabant quod captis Kairo et Babilonia, etiam Alexandria relinquebatur exposita Christianis. Et inde ortum habebant rumores cum literis memoratis.

Alors les captifs fort joyeux, et mis en liberté pour première preuve de la vérité de cette offre, partirent aussitôt ; ils vinrent secrètement trouver le roi, et, comme c’étaient des gens connus et dignes de foi, ils méritèrent d’être crus en tous points dans leur récit. Cependant le roi, à cette nouvelle, défendit qu’on en donnât connaissance à qui que ce fût jusqu’à ce qu’il eût décidé plus mûrement ce qu’il avait à faire. Mais chagrin de l’absence de Guillaume Longue Epée et de ses hommes qui avaient éprouvé un affront cruel, et voyant que l’armée des Français était mutilée et scandalisée en grande partie, il envoya en toute hâte un messager vers lui pour le prier de revenir, lui disant qu’il recevrait toute satisfaction sur le grief dont il se plaignait, et ajoutant à la fin de sa missive : « Tu apprendras d’heureuses nouvelles, qui pourront être suivies d’évènements longtemps désirés, et causer plus tard des transports de joie : aussi voulons-nous et désirons-nous que tu en sois instruit. » Cette parole se répandit bientôt parmi les habitants du pays et les citoyens d’Acre. Guillaume donc, cédant aux ordres d’un si grand prince, surtout à cause de l’addition qui terminait la lettre, revint vers le roi avec toute sa compagnie ; puis, lorsqu’il eut appris par le récit du roi rempli d’allégresse les offres que faisait l’officier susdit, il fut si transporté de joie, qu’il remit toute offense et tout ressentiment à ses débiteurs. Voila pourquoi quelques personnes, habiles à sonder les secrets et empressées à répandre les bonnes nouvelles, avaient annoncé à leurs amis, qu’elles voulaient combler de joie, et comme si les promesses se fussent déjà réalisées, que le Caire et Babylone avaient été pris, et qu’Alexandrie restait ouverte au coups des chrétiens. Telle fut l’origine des bruits qui coururent et des fausses lettres qui y donnèrent lieu.


 

Bv - Pâques 1250 : 27 mars (en réalité 8 février 1250). Les croisés traversent le canal d’Almon qu’ils prenaient pour un bras du Nil appelé Thanis et attaquent Mansourah. Matthieu est prolixe sur l’évènement inventant les dialogues à la manière des grandes épopées. Chronologiquement, Matthieu Paris situe ce passage au premier août, date à laquelle Richard de Cornouailles reçut le messager portant la nouvelle de la défaite de Mansourah. Tome V page 147. Tome VII page 72.

 

Transito igitur quodam magno flumine ex alveo Nili prodeunte, nomine Tafnis, circa clausum Pascha per scaphas planas colligatas, et per occultum vadum, quod ei manifestaverat quidam conversus quondam Sarracenus, multi transierunt. Robertus autem frater regis, comes videlicet Atrabatensis, assumptis secum multis nobilibus, quorum unus erat Willelmus Longa-Spata, necienste rege fratre suo, ad ulteriora litoris se contulit. Cujus erat intentio pro omnibus solus triumphare et titulos asportare, et ut ei soli victoria ascriberetur. Erat namque superbus nimis et arrogans, atque vanae gloriae appetitivus. Et invenientes quosdam Sarracenos, ipsos in ore gladii trucidarunt. Robertus igitur audacer progrediens, sed inconsulte, quoddam casale, quod ante ipsos erat, nomine Mansor, proposuit violenter occupare, et trucidatis omnibus quos in eodem inveniret, illud subruere ; et intrans violenter fere lapidibus obrutus, confusus exivit, multis tamen ipsius habitatoribus interfectis. Et cum conglomerati tractatum haberent quid agendum, comes Robertus sperans ultima primis feliciter respondere, omnes ad progrediendum persuasit et animavit, et dixit magistro militiae Templi, qui tunc cum ipso fuerat, praesente Willelmo Longa-Spata ; « Insequamur hostes qui prope sunt, ut dicitur, fugitivos, dum res in manibus nostris prosperatur, dum videmus nostros ferventes et hostium cruorem sitientes, et inimicos fidei de salute propria desperantes, ut omnes conterendo guerram nostram fine beato citius concludamus. Confidenter agamus, quia sequitur nos tertia pars exercitus Gallicani ; et si aliquid nobis sinistri, quod absit, contingat, subveniet nobis ad nutum mandati fratris ac domini mei regis exercitus insuperabilis. » Cui magister militiae Templi, vir quidem discretus et circumspectus, in negotiis quoque bellicis paritus et expertus, respondit ; « O domine comes magnifice, vestram satis strenuitatem et innatam magnanimitatem et audaciam commentamus voluntariam ad honorem Domini et ecclesiae Suae universalis, quam novimus et saepo sumus experti. Veruptamen optamus et salubriter consulimus supplicantes, quatinus fraeno modestiae ac discretionis hunc fervorem velitis cohibere, ut post hunc, quem nobis Dominus contulit, triumphum et honorem aliquantulum respiremus. Post hos enim bellorum aestus et labores fatigamur, sauciamur,esurimus, et sitimus ; et si nos honor et gloria optentae victoriae consoletur, nullus tamen equos nostros jam deficientes et vulneratos honos vel gaudium refocillat. Revertamur igitur consultius, ut exercitui domini nostri regis uniti, tam consilio quam auxilio ipsius roboremur, et tam equi nostri quam nos aliqua quiete recreemur. Quod cum viderint hostes nostri, modestiam prudentiam nostram plus laudabunt et amplius formidabunt. Communicato enim cum nostratibus ampliori consilio, ad incoepta cum omnes congregabimur, fortiores resurgemus et collatis viribus confidentius roborabimur. Jam enim ascendit clamor fugitivorum, qui velocissimis equis raptis ipsum Soldanum et alios inimicos nostros, de viribus suis et numerositate confidentes, excitabunt, et de nostra paucitate et totus exercitus, quod semper desideraverunt, praemunient et confortabunt divisione, et nos super his certificati protervius et confidentius aggredientur, vires suas nunc effundentes in nostram perniciem et confusionem. Norunt enim quod si nunc conterantur, exhaeredati penitus cum uxoribus et liberis irrestaurabiliter ad nihilum redigentur. » Haec autem cum comes audisset Atrabatensis, indignatus vehementer, iraque et suoerbia turgidus et inflatus, respondit ; « O antiqua Templi proditio ! O vetus Hospitalariorum seditio ! O fraus diu occultata, quam manifeste nunc prorupit in medium. Hoc est quod diu vero praecinimus augurio, et veraciter est praedictum, haec terra tota Orientalis jam diu fuiddet adquista, nisi Templi et Hospitalis et aliorum, qui se proclamant religiosos, fraudibus nos saeculares impedirent. Ecce patet ad manum captio Soldani et totius confusio Paganismi, et legis perpetua exaltatio Christianae, quam suis fictis et fallacibus sermocinationibus praesens Templarius conatur impedire. Timent enim Templarii et formidant Hospitalarii et corum complices ; quod si terra juridibus subdatur Christianis, ipsorum expirabit, qui amplis redditibus saginantur, dominatio. Hinc est quod fideles hue adventantes, et ad negotium crucis accinctos variis inficiunt potionibus, et Sarracenis confoederati diversis interticiunt proditionibus. Nonne super his Frethericus corum expertus muscipulas testis est certissimus ? » His igitur verbis satiricis et mordacibus magister militiae memoratus cum fratribus, et Magister Hospitalis cum suis similiter confratribus, usque ad spiritus amaritudinem contristati, unanimiter responderunt ; « Utquid, comes generose, habitum susciperemus religionis. Nunquid ut ecclesiam Christi everteremus, et proditionibus intendentes animas nostras perderemus ? Absit, absit hoc a nobis, immo ab omni Christiano. » Et iratus magister Templi vehementer alta voce exclamavit, dicens signifero ; « Explica et eleva signum nostrum, et procedamus bellaturi, ut hodie tam mortis quam Martis ambigua fata coexpiriamur. Insuperabiles essemus, si inseparabiles permaneremus. Sed infeliciter dividimur, similes arenae sine calce, unde inepti aedificio spirituali et caemento caritatis expertes , maceriae depulsae consimiles erimis profecto ruinosi. » Talia igitur audiens Willelmus Longa-Spata, seisma in exercitu jam suscitatum vehementer formidans, impetuosum motum animi comitis Atrabatensis sedare cupiens et magistri Templi iram mitigare, respondit dicens ; « Talem scissuram et divisionem secundum verbum Dominicum sequitue desolatio. Credamus igitur huic viro sancto et autentico, o comes serenissime.Incola hujus terrae existit diuturnus cognovitque vires et versutias Sarracenorum, experimento edoctus multiplici. Nos, novi juvenes et advenae, quid mirum si Orientalium simus nescii periculorum. Quantum distat Oriens ab Occidente, tantum discrepant Occidentales ab his Orientalibus. » Et versa facie ad magistrum Templi, cum serenitate et verbis blandis ipsum allocutus, conabatur motum animi ejus mitigare, cum ecce comes Atrabatensis rapiens verbum ab ore ejus, more Gallico reboans et indecenter jurans, audientibus multis os in haec convitia resolvit, dicens ; « O timidorum caudatorum formidolositas, quam beatus, quam mundus praesens foret exercitus, si a caudis purgaretur et caudatis. » Quod audiens Willelmus verecundatus, et de verbi offendiculo lacessitus et comotus, respondit ; « O comes Roberte, certe procedam imperterritus ad quaeque imminentia mortis pericula. Erimus, credo, hodie, ubi non audebis caudam equi mei attingere. » Et apponentes galeas et explicatis signis progressum contra hostes, qui spatiosam planiciem, montes, et valles undique cooperuerunt, continuabant. Sic igitur volens comes R[obertus] omnia sibi, si Christianos contigeret triumphare, ascribere, dedignabatur fratri suo domino Francorum regi haec praesumpta pericula nuntiare.

Vers Pâques closes, une partie de l’armée traversa un grand fleuve nommé Thanis, qui est une branche du lit du Nil, sur des bateaux plats liés ensemble, et à un endroit guéable, qui avait été indiqué par un Sarrasin récemment converti. Alors Robert comte d’Artois et frère du roi, ayant pris avec lui plusieurs seigneurs, parmi lesquels se trouvait Guillaume Longue-Epée se porta sur le rivage opposé, à l’insu du roi son frère. Son intention était de triompher seul pour tous, et de remporter des titres de gloire, afin que la victoire ne semblât due qu’à lui seul ; Car c’était un homme superbe, arrogant et désireux d’une vaine gloire. Les quelques sarrasins que l’on rencontra furent passés au fil de l’épée, et Robert, s’avançant audacieusement mais inconsidérément, résolut d’aller occuper par la force un certain bourg nommé Mansor, qui se trouvait devant lui, et de le détruire, après avoir massacré tous ceux qu’il rencontrerait. Etant donc entré de force, il fut assailli d’une grêle de pierres et en ressortit en désordre, après avoir cependant tué un grand nombre d’habitants. Alors on se réunit et l’on tint conseil sur ce qu’il y avait à faire. Le comte Robert, espérant que la fin répondrait heureusement au commencement, voulut animer et engager tous les autres à passer outre, et dit au maitre de la milice du Temple, qui se trouvait alors avec lui, en présence de Guillaume Longue-Epée : « Poursuivons les ennemis qui sont en fuite, et ne sont pas fort éloignés de nous, à ce qu’on dit ; profitons du moment où les affaires prospèrent en nos mains, où nous voyons les nôtres remplis d’ardeur à s’abreuver dans le sang des ennemis, et où les adversaires de la foi désespèrent de leur propre salut, pour les écraser tous et terminer au plus tôt cette guerre par une heureuse fin. Allons en toute confiance car le tiers de l’armée française nous suit, et si quelque chose de fâcheux nous arrivait, ce dont Dieu nous garde, l’invincible armée et où les adversaires de la foi désespèrent de leur propre salut, pour les écraser tous et terminer au plus tôt cette guerre par une heureuse fin. de notre seigneur et frère le roi viendrait à notre secours au premier signal. » Le maitre de la milice du Temple, homme discret et circonspect, autant qu'habille et expérimenté dans les affaires de la guerre, répondit à cela : « Messire et magnifique comte, nous louons fort votre vaillance, votre grandeur d’âme innée, votre audace volontaire qui tend à l’honneur de Dieu et de son église universelle ; nous vous connaissons et nous avons éprouvé souvent ce que vous êtes. Toutefois nous souhaitons et nous vous conseillons, avec des supplications salutaires, de vouloir bien réprimer cette ardeur par le frein de la modération et de la discrétion afin que nous respirions quelque peu après ce triomphe et cette honneur que le Seigneur nous a accordé. En effet, après nos sueurs et nos travaux guerriers, nous sommes fatigués, nous sommes blessés, nous avons faim et soif, et si l’honneur et la gloire de la victoire obtenue nous réconfortent, l’honneur et la joie ne sont point pâtures à restaurer nos chevaux harassés et blessés. Il est donc plus à propos de retourner pour puiser des renforts, tant dans l’armée que dans le conseil et l’aide du roi notre seigneur à tous, et pour goûter quelque repos, tant nous que nos chevaux. Quand nos ennemis verront cela, ils loueront davantage notre prudence modérée et nous craindront encore plus. Aussi, après avoir tenu plus ample conseil avec les chefs de notre armée, nous nous trouverons plus forts pour continuer l’œuvre commencée quand nous serons tous réunis, et cette réunion même doublera notre confiance. Car déjà se sont répandues les clameurs des fugitifs, qui, emportés par leurs chevaux rapides, iront réveiller le soudan et nos autres ennemis fiers de leur nombre et de leurs forces, les avertiront de notre petit nombre, les réconforteront par la nouvelle de la division de l’armée, qu’ils ont toujours désirée. Alors, instruits de toutes ces choses, ils viendront nous attaquer avec plus d’arrogance et de confiance, déployant toutes leurs forces pour notre confusion et notre ruine ; car ils savent que s’ils sont écrasés aujourd’hui, c’est leur extermination complète, pour eux, pour leurs femmes et pour leurs enfants, et qu’ils n’auront plus aucun refuge. » Lorsque le comte d’Artois eut entendu cette réponse, il s’indigna grandement, et reprit, gonflé d’orgueil et dans un violent accès de colère : « Voila bien la vieille trahison des Templiers ! voila bien l’esprit séditieux des Hospitaliers avec quelle imprudence leur fraudes, longtemps cachée, se fait maintenant publiquement jour ! voici donc nos anciennes prédictions réalisées ! Je reconnais aujourd’hui la vérité de ce qu’on disait, que toute cette terre d’orient aurait été conquise depuis longtemps, si les Templiers, les Hospitaliers et les autres, qui se proclament des religieux, n’eussent mis obstacle par leurs artifices au progrès des séculiers. La prise du soudan, la confusion de tout le paganisme, l’exaltation perpétuelle de la loi chrétienne sont là entre nos mains, et ce Templier, ici présent, s’y oppose par ses discours artificieux et trompeurs. C’est que les Templiers, les Hospitaliers et leurs complices craignent et redoutent que, si la Terre Sainte se trouve soumise au pouvoir des chrétiens, leur domination à eux ne soit anéantie, ainsi que les riches revenus dont ils se gorgent. Voila pourquoi ils se défont, par des poisons de tout genre, des fidèles qui arrivent ici, et qui sont armés pour la croisade ; voilà pourquoi ils les font périr en trahison, ligués qu’ils sont avec les sarrasins. Est-ce que Frédéric ne peut pas servir de témoin irrécusable à mes paroles, lui qui a éprouvé leur perfidie ? A ce discours satirique et mordant, le susdit maître de la milice du Temple, ainsi que ses frères, et le maître de l’Hopital, semblablement avec ses frères, attristés jusqu’à amertume de cœur, répondirent d’un commun accord : « Pourquoi donc, généreux comte, aurions nous pris l’habit religieux ? Serait-ce pour renverser l’église du Christ, et pour perdre nos âmes en nous livrant aux trahisons ? Loin de nous cette pensée, loin de nous et même de tout chrétien ! » Alors le maître du Temple, irrité violemment, éleva la voix, et cria à celui qui portait la bannière de l’ordre : « Déployez dans les airs notre étendard, afin que nous marchions au combat : aujourd’hui Mars et la mort vont décider de notre fatale destinée. Nous étions invincibles si nous fussions restés unis ; mais nous sommes malheureusement divisés, Semblables à du sable sans mortier. Aussi incapables de bâtir l’édifice spirituel et privés du ciment de la charité, nous tomberons en ruines sans nul doute comme une muraille battue et qui s’écroule. » En entendant cela, Guillaume Longue-Epée, redoutant grandement le schisme qui s’élevait dans l’armée, et désirant apaiser, d’une part, l’impétuosité altière du comte d’Artois, et adoucir, de l’autre, le courroux du maître du Temple, répondit ainsi : « La désolation, selon la parole du Seigneur, suit de pareilles scissions et divisions. Sérénissime comte, croyons-en l’avis d’un homme si saint et si digne de foi. Il habite depuis longtemps ce pays, il connaît les forces et les ruses des Sarrasins, instruit qu’il est par une expérience de tant d’années. Nous qui sommes des nouveaux venus, des jeunes gens , des étrangers, qu’y a t’il d’étonnant si nous ignorons les périls des guerres d’orient ? Que de différence il y a entre l’orient et l’occident, combien peu de rapports entre les occidentaux et les orientaux de ce pays ? » Ensuite, se tournant vers le maître du Temple, il lui parla avec sérénité et en employant des mots affables, essayant de calmer sa colère, lorsque le comte d’Artois, lui coupant la parole, se mit à crier, selon l’usage des Français, et à jurer d’une manière indécente ; puis s’emportant en injures, il dit en pleine assemblée : « O timidité et lâcheté de ces gens à queue ! Que la présente armée serait heureuse, qu’elle serait purifiée, si elle était purgée et des queues et des gens à queues. » A ces mots Guillaume, rougissant de honte et justement irrité d’une parole aussi offensante, lui répartit : « Comte Robert, certes je m’avancerai sans rien craindre, dussè-je me trouver en péril de mort ; et j’irai si avant aujourd’hui, je vous en réponds, que vous n’oserez pas approcher seulement de la queue de mon cheval. » Aussitôt ils mirent leurs casques, déployèrent les étendards, et continuèrent leur marche à la rencontre des ennemis qui couvraient de toutes parts une plaine spacieuse coupée de collines et de vallées. C’est ainsi que le comte Robert, voulant prendre toute la gloire pour lui, s’il arrivait que les chrétiens triomphassent, dédaignait d’annoncer à son frère le seigneur roi de France, les périls auxquels il courrait.


 

Bw - Selon Matthieu Paris Robert d’Artois se noya en tentant de s’enfuir et Guillaume Longue-Épée se battit vaillamment jusqu’à la mort. Sa mère, la contesse de Salisbury fut avertie en songe de la mort de son fils. Voici le sort des Templiers. Tome V page 154. Matthieu Paris ne parle pas de la mort de Guillaume de Sonnac et résume très vite la fin de la septième croisade. Tome VII page 83.

 

Submerso igitur Roberto comite Atrabatensi, et trucidato Willelmo Longa-Spata, Sarraceni, certi de victoria, Christianos circumcintos et diffisos in ore gladii miserabiliter peremerunt, nec evasit de tota illa gloriosa ac famosa militia, nisi duo Templarii et unus Hospitalarius, et una contemptibilis persona, qui quoniam nudus fuit flumen transnatans, regi Francorum et residuo exercitui casum nuntiavit cunctis saeculis deplorandum.

Robert comte d’Artois ayant donc été noyé, et Guillaume Longue-Epée massacré, les sarrasins, certains de la victoire, passèrent misérablement au fil de l’épée les chrétiens cernés et découragés ; de toute cette fameuse et glorieuse chevalerie il n'échappa que deux Templiers, un Hospitalier et un homme de peu d’importance, qui, s’étant dépouillé de ses habits, et ayant traversé le fleuve à la nage, vint annoncer au roi de France et au reste de l’armée ce désastre déplorable pour tous les siècles.


 

Bx - Page 158, page 90.

 

Nec evaserunt de Templo nisi tres tantum milites et hospitalis dero quatuor ; Quintus enim, antaquam Acon perveniret, sanguine eliquato de vulneribus, mortuus [est]. De domo Theutonicum tres tantummodo semineces evaserunt. Occubuerunt etiam ipso letali certamine praeter Templarios et alios praenotatos viri praeclari, Randulphus de Cuscy, miles egregius et famosus, Hugo comes Flandriae, vir praepotens et ullistris, Hugo Brunus comes Marchia, cujus pater paulo ante obiit apud Damatiam, similer et comes de Pontivio peregrinus ; et brevibus concludam, tota Franciae ibidem deperiit nobilitas trucidata. …


Occubuit quoque, postquam cruentus multorum hostium cruore gladium suum inebriaverat, Willelmus Longa-Spata, cum Roberto de Ver et aliis quampluribus militibus praeclaris et servientibus…

De la maison du Temple in n'échappa que trois chevaliers seulement ; de celle de l'Hôpital que quatre, un cinquième perdant tout son sang par ses blessures, mourut avant d’arriver à Acre. De la maison des Teutoniques trois seulement s'échappèrent à demi morts. Dans ce funeste combat, outre les templiers et les autres susdits, des hommes illustres perdirent la vie, tels que Raoul de Coucy, chevalier vaillant et fameux ; Hugues, comte de Flandre, homme puissant et célèbre ; Hugues Lebrun, comte de la Marche, dont le père était mort peu de temps auparavant à Damiette, ainsi que le comte de Ponthieu, pèlerin ; enfin, pour tout dire en peu de mots, toute la noblesse de France fut massacrée et périt en ce lieu…

 

Ainsi avait succombé Guillaume Longue-Épée après avoir plongé son glaive dans le sang d’un grand nombre d’ennemis, ainsi que Robert de Ver et une foule d’autres, tant chevaliers illustres que sergents…


 

By - Page 166 page 102. De la lettre reçue par Richard de Cornouailles relatant la bataille de la Mansoure voir L13

 

Notons que Matthieu Paris se contredit lui-même sur les dates car il parle bien dans ce passage du mercredi des cendres donc au début du Carême pour le passage du Thanis et non plus après Pâques. De même, la dispute entre Robert d'Artois et Guillaume de Sonnac a bien lieu avant l'entrée dans Mansourah et non après.

 

Bz - Pour finir, Matthieu Paris fait une rétrospective des 50 dernières années en finissant par 1250 (25x50 années depuis le Christ) Tome V pages 192-194 et 196. pages 140, 143 et 146

 

Capti sunt, occisi, et dissipati conventus, Templi, Hospitalis, Sanctae Maria Theutonicorum, et Santi Lazari, bis.

 

Templarii quoque, ex odio Papali sumentes [occasiones], eum voluerunt Soldano tradere Babiloniae.

 

Sarracenis hoc ultime hujus quadragenae annorum ad votum triumphantibus, totum Chritianorum exercitum, prob dolor, trucidatur in Egipto, ex omni Franciae, Templi, Hospitalis, Sanctae Mariae Theutonicorum, et Sancti Lazari, constans nobilitate ; ubi etiam captus est cum duobus fratribus, Pictaviae et Provinciae comitibus, pius Francorum rex Ludowicus. Willelmus quoque Longa-Spata cum multis Angliae nobilibus ibidem interiit interfectus, Roberto fratre dicti regis, comite scilicet Atrabatensi, fugiente de praelio et submerso.

Les frères du Temple, de l’Hopital, de Sainte Marie des Teutoniques, et de Saint Lazare, sont pris, tués et dispersés deux fois ;

  

Les Templiers, prenant occasion de la haine du Pape, cherchent à livrer Frédéric au Soudan de Babylone.

 

Cette dernière année, qui est la cinquantième, les sarrasins triomphent au gré de leur vœux, et l’armée chrétienne, composée de toute la noblesse de France, du Temple, de l’Hopital, de Sainte Marie des Teutoniques et de Saint Lazare, est massacrée tout entière en Égypte : ô douleur ! le pieux roi de France Louis y est pris aussi avec ses deux frères, les comtes de Poitou et de Provence. Guillaume Longue-Épée, et beaucoup de nobles Anglais périssent par l’épée en cette occasion. Robert, comte d’Artois et frère du dit roi, s’enfuit du combat et se noie.