Présentation de l'exposition "Mort et Résurrection".
Par Francis Guyot
J’ai 66 ans, marié, père de 3 enfants, grand-père de 10 petits enfants.
Après des études secondaires au collège saint Joseph de Poitiers, j’ai suivi les cours de la faculté de médecine de Poitiers. Pendant 25 ans j’ai exercé la profession de médecin généraliste à Targé, et depuis 15 ans, je suis sculpteur à plein temps.
J’ai réalisé en 50 ans plus de 300 œuvres, de l’art profane, des commandes privées ou publiques mais toujours en filigrane des œuvres d’art sacré.
Pourquoi l’art sacré ?
C’est donc l’aboutissement de 50 ans de travail qui est présenté ce soir sous vos yeux, dans ce lieu où, me semble t-il règne une parfaite adéquation entre la pureté et la simplicité de cette belle architecture du XIIème siècle et ces œuvres d’art du XXIème siècle sur la mort et la résurrection du Christ.
Je remercie donc du fond du cœur, Maryse et Jean-François Lavrard de m’avoir invité car je ne pouvais trouver meilleur cadre pour une telle exposition.
En effet présentée pour la première fois pour Pâques 2015 à l’abbaye de Ligugé, l’œuvre était portée par la spiritualité des lieux de la première abbaye de France. Aujourd’hui, elle est enchâssée par la beauté du lieu et la richesse de son histoire.
Pourquoi une œuvre d’art sacré ?
Cette mort que j’ai malheureusement côtoyé trop souvent quand j’étais médecin, je l’avoue, me fait peur.
Pourquoi me fait-elle peur, peut être justement parce que je doute.
Celui qui a des certitudes, qui ne doute pas, n’a pas peur car il croit.
« Mort et Résurrection » est peut être l’exorcisme de ce doute, le retour à cette foi enfantine marquée par ces images de crèches de Noël, de crucifix et de Christ rédempteur.
C’est toute notre vie, de la naissance à la mort.
« Il s’est fait homme ».
Ces images m’ont toujours accompagné, je les aime et les redoute à la fois.A 65 ans, entrant dans la dernière partie de ma vie, au détour d’un petit cimetière de campagne à Saint-Secondin, en visite sur la tombe de mes parents, j’ai vu :
J’ai dit à Maryvonne « je vais les prendre ». Surprise, elle n’était pas d’accord. Je lui ai dit : « je vais en faire quelque chose. En effet, ces Christ étaient beaux et pathétiques, usinés en régule ou en fer, rouillés ou argentés, comme des tuyaux de poêle, presque tous identiques mais de tailles différentes.
Chaque Christ représentait l’humanité, l’un sur la tombe d’un enfant, l’autre d’une femme, d’un homme dont plus
personne ne se souvenait, la tombe était abandonnée, vouée à la destruction.
Ces Christ que j’ai ramassés sont ici, ce soir, ils sont la mémoire de notre condition humaine, chacun représente une vie, une histoire mais ils représentent aussi Le Christ, c'est-à-dire le mystère divin.
Après une première vie sur une tombe, une seconde vie leur est donnée au travers de ces œuvres d’art.
C’est une toute petite résurrection, pleine d’humilité, à l’échelle humaine, allégorie de la seule vraie résurrection, celle du Christ fait homme pour nous sauver.
La religion chrétienne est la religion de la compassion « souffrir avec » au sens latin du terme.
En conclusion, voici le texte du père François prononcé lors de l’exposition « mort et résurrection » à l’abbaye de Ligugé :
Permettez, cher Francis, que j’attire l’attention tout ensemble sur le contexte contemporain et sur la nature contemporaine de cette « méditation » qui est la vôtre. Sans doute, dans le monde d’aujourd’hui, les grandes occurrences liturgiques de l’année chrétienne, du mystère chrétien, passent souvent inaperçus, lorsque les symboles chrétiens - dont la croix est à tous égards le principal – ne font pas l’objet de suspicion ou de dérision. Et néanmoins le monde d’aujourd’hui et les hommes d’aujourd’hui connaissent d’expérience ce mystère à la fois personnel et collectif de la souffrance et de la mort dont la Passion de l’homme de Nazareth le grand lieu de rendez-vous fraternel : « Capitale de la douleur », dirais-je en reprenant le titre d’un recueil fameux du poète Paul Eluard. Faut-il rappeler les évènements tragiques pour lesquels tant de nos concitoyens se sont émus et mobilisés au début de cette année (2015), pour ne rien dire de ce que l’autre – tous les jours peut-être – traverse la vie, le cœur et la chair de nos proches, notre vie, notre cœur, notre chair ? Que nous confessions explicitement la foi au Christ ou que nous nous en sentions très éloignés, le drame de la Passion nous questionne et nous rejoint : il est, paradoxalement, le plus haut lieu d’espérance. La croix fait signe, elle est un signe. Or un signe ne mérite pas ce nom, s’il n’est, fut-ce obscurément, un signe d’espérance.
C’est de ce drame et de ce signe que vous vous êtes fait l’interprète, cher ami, avec cette liberté et cette honnêteté que sont celles de l’artiste, lequel n’a pas pour vocation d’illustrer un dogme, mais d’interroger un mystère et d’inviter fraternellement, largement, les autres, à entrer dans sa propre interrogation. Vous entrez dans la Passion du Seigneur comme Simon de Cyrène : en cours de route. Là où vous en êtes de votre propre route. Là ou vous en êtes de votre riche expérience de l’homme, de la vie, de la matière ; là où vous êtes de votre réflexion, de votre foi qui continue de chercher. Votre amour héréditaire et bien connu du bois vous mettait à pied d’œuvre, s’il se peut dire, pour aborder ce drame-là, dont le Bois, avec la Chair, est le grand protagoniste. La méditation que vous nous proposez de l’évènement pascal en sa complétude – mort et résurrection – est étonnamment vigoureuse. Vigoureuse dans ses couleurs, dans ses formes, dans ses matériaux. Me trompé-je en lisant en filigrane de votre Credo et d’autres pièces de cette collection, le mot fameux de Camus dans « Jonas ou l’artiste au travail » : « Solitaire, solidaire » ? Tant l’on vous devine sensible à l’emportement de l’humanité entière, de l’histoire entière dans l’aventure de cet Homme-là. Mais il vous appartient à vous, sinon de tout nous expliquer, du moins de nous faire apercevoir vos intuitions profondes.
Visiter une exposition, c’est se laisser visiter par elle. « O vos omnes qui transitis, attendite et videte… », nous fait chanter une antienne du Vendredi saint, tirée des lamentations de Jérémie, autrement dit : « Ô vous tous qui passez, prêtez attention et voyez… » Puissent tous ceux qui passeront dans cette exposition, ne pas en rester à l’indifférence, ni à la surprise, ni à la certitude de leurs goûts trop établis, ni à l’arbitraire de leurs impressions subjectives, mais s’ouvrir à une attention réelle et exigeante. Attention au Christ mort et ressuscité, attention à l’humanité dont nous croyons qu’il est le point focal, attention, enfin, à l’artiste que vous êtes. Car, s’il ne le dit pas toujours, s’il n’ose pas le dire toujours, l’artiste aussi, en tant qu’homme et qu’éveilleur de sens, a profondément besoin d’attention.
Fr. François