L11 - Lettre de Saint Louis aux Français
Date : Acre Aout 1250
Précision sur le document : L’original surement en français a été perdu mais elle a été traduite et nous est parvenue en latin. Cette lettre peu souvent citée semble pourtant être l’inspiratrice de nombreuses chroniques.
Auteur : Saint Louis IX
Edition utilisée : Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France, Tome I de Michaud et Poujoulat 1836 pages 346 et suivantes.
Fiche Arlima ou CartulR : Arlima
"Louis, par la grâce de Dieu, roi de France, à ceux qui ces présentes verront, salut.
Désirant de toute notre âme, pour l’honneur et la gloire du nom de Dieu, poursuivre l’entreprise de la croisade, nous avons jugé convenable de vous informer tous qu’après la prise de Damiette, que notre Seigneur Jésus-Christ, par sa miséricorde ineffable, avait, comme par miracle, livrée au pouvoir des chrétiens, ainsi que vous l’avez sans doute appris, de l’avis de notre conseil, nous partîmes de cette ville le vingt du mois de novembre dernier. Nos armées de terre et de mer étant réunies, nous marchâmes contre celle des Sarrasins qui était rassemblée et campée dans un lieu nommé vulgairement Massoure. Pendant notre marche, nous soutînmes les attaques des ennemis qui éprouvèrent constamment quelque perte assez considérable. Un jour, entre autres, plusieurs de l’armée d'Égypte venant attaquer les nôtres, furent tous tués. Nous apprîmes en chemin que le soudan du Caire venait de terminer sa vie malheureuse, et qu’avant de mourir, il avait envoyé chercher son fils qui restait dans les provinces de l’Orient, avait fait prêter à tous les principaux officiers de son armée serment de fidélité à ce prince, et avait avait laissé le commandement de toutes ses troupes à un de ses émirs nommé Fakardin. En arrivant au lieu dont nous venons de parler, nous trouvâmes ces nouvelles vraies. Nous étions alors au mardi d’avant la fête de Noël. Nous ne pûmes nous approcher des Sarrasins à cause d’un courant d’eau qui se trouvait entre eux et nous. Ce courant qui se sépare en cet endroit du grand fleuve Nil s’appelle le fleuve Thanis. Nous plaçâmes notre camp entre les deux, nous étendant depuis le grand jusqu’au petit fleuve. Il y eut là quelques engagements ; plusieurs des ennemis furent tués par l’épée des nôtres ; mais un plus grand nombre fut noyé dans les eaux. Comme le Thanis n’était pas guéable à cause de la profondeur de ses eaux et de la hauteur de ses rives, nous commençâmes à jeter une chaussée pour ouvrir un passage à l’armée chrétienne ; on y travailla pendant plusieurs jours avec des peines, des dépenses et des dangers infinis. Les Sarrasins s’opposèrent de tous leurs efforts à nos travaux ; ils élevèrent des machines contre nos machines ; ils brisèrent des pierres et brûlèrent avec leurs feux grégeois les tours en bois que nous dressions sur la chaussée. Nous avions perdu presque tout espoir de passer sur cette chaussée, lorsqu’un transfuge Sarrasin nous fit connaître un gué par où l’armée chrétienne pourrait traverser le fleuve. Nos barons et les principaux de notre armée furent rassemblés le lundi d’avant les Cendres, et il fut convenu que le lendemain, c'est-à-dire le jour de carême prenant, on se rendrait, de grand matin, au lieu indiqué pour passer le fleuve, et qu’une petite partie de l’armée resterait à la garde du camp. Le lendemain, nous rangeâmes nos troupes en bataille et nous nous rendîmes au gué. Nous traversâmes le fleuve non sans courir de grands dangers, car le gué était plus profond et plus périlleux qu’on ne l’avait annoncé. Nos chevaux furent obligés de passer à la nage ; il n’était pas aisé non plus de sortir du fleuve, à cause de l’élévation de la rive qui était toute limoneuse. Après avoir traversé, nous arrivâmes au lieu où étaient dressées les machines des Sarrasins, en face de notre chaussée. Notre avant-garde attaqua l’ennemi, lui tua du monde, n’épargna ni le sexe ni l’age. Les Sarrasins perdirent un chef et quelques émirs. Nos troupes s’étant ensuite dispersées, quelque-uns des nôtres traversèrent le camp ennemi et arrivèrent au village nommé Massoure, tuant tout ce qu’ils rencontraient de Sarrasins. Mais ceux-ci s’étant aperçu de l’imprudence de nos soldats reprirent courage, fondirent sur eux, les enveloppèrent et les accablèrent. Il se fit là un grand carnage de nos barons et de nos guerriers tant religieux que autres. Nous avons, avec raison, déploré leur perte et nous la déplorons encore. Là nous avons perdu notre brave et illustre frère, le comte d’Artois, digne d’éternelle mémoire. C’est dans l’amertume de notre cœur que nous rappelons cette perte douloureuse, quoique nous dussions plutôt nous en réjouir ; car nous croyons et espérons qu’ayant reçu la couronne du martyre, il est allé dans la céleste patrie, et qu’il y jouit de la récompense accordée aux saints martyrs. Ce jour là les Sarrasins fondirent sur nous de toutes parts, et nous accablèrent d’une grêle de flèches ; nous soutînmes leurs rudes assauts jusqu’à la neuvième heure, où le secours de nos balistes nous manqua tout à fait. Enfin, après avoir eu un grand nombre de nos guerriers et de nos chevaux blessés ou tués, nous conservâmes notre position avec le secours de Dieu, et, nous y étant ralliés, nous allâmes, le même jour placer notre camp tout près des machines des Sarrasins. Nous y restâmes avec un petit nombre des nôtres et nous y fîmes un pont de bateaux pour que ceux qui étaient au-delà du fleuve pussent venir à nous. Le lendemain, il en passa plusieurs qui campèrent auprès de nous. Les machines des Sarrasins furent alors détruites, et nos soldats purent aller et venir librement en sûreté d’une armée à l’autre en passant le pont de bateaux. Le vendredi suivant, les enfants de perdition réunissant leurs forces de toutes parts, dans le dessein d’exterminer l’armée chrétienne, vinrent avec audace et en nombre infini attaquer nos lignes. Le choc fut si terrible de part et d’autre qu’il ne s’en était jamais vu, disait-on, de pareil dans ces parages. Avec le secours de Dieu, nous résistâmes de tous côtés ; nous repoussâmes les ennemis et nous en fîmes tomber un grand nombre sous nos coups. Quelques jours après, le fils du soudan, venu des provinces orientales, arriva à Massoure. Les Égyptiens le reçurent comme leur maître et avec des transports de joie. Sa présence redoubla leur courage ; et, depuis ce moment, nous ne savons par quel jugement de Dieu, tout alla de notre côté contre nos désirs.
…/…
Fait à Acre, l’an du Seigneur 1250, au mois d’août."