Chroniques de Saint Denis ou Grandes chroniques de France



Date approximative : 1285 pour la version latine, 1350 pour la traduction

Auteur : Compilation traduite du latin par le moine Primat

Edition utilisée : « Les grandes chroniques de France selon que elles sont conservées en l’église de saint Denis en France » Tome IV Paulin Paris 1838.

Fiche Arlima ou CartulR : Arlima    Manuscrit de 1401

 

 

   

 

     Saint louis avait chargé les moines de l’abbaye bénédictine de saint Denis de rédiger la chronique officielle des rois de France en faisant remonter la royauté à Hugues Capet. Il s’agit donc d’une vaste compilation des textes anciens existants réalisée par un moine anonyme historiographe officiel royal. Le premier moine connu est Michel Pintoin (1350-1421). Pour la période qui nous intéresse, les textes de référence sont ceux de Guillaume de Nangis archiviste de saint Denis. La dénomination « Chroniques de saint Denis » concerne la version latine et celle de « Grandes chroniques de France » la version en langue vernaculaire. La traduction française des textes latins a été réalisée par le moine de saint Denis appelé Primat entre 1274 et 1350. La première édition des Grandes Chroniques datant de 1477 par Pasquier Bonhomme a eu un très grand succès.

 

Xa - Page 285 chapitre XXXVI La deuxième des raisons nécessitant la dépose de Frédéric II et son excommunication lors du concile de Lyon. Manuscrit

 

La seconde cause si fu que il rompi les convenances et la paix qui avoit été jurée des deux parties, et qu’il ne feroit nul dommage aux cardinaux. De toutes ces choses il ne fist riens ; ainsois prist les biens des cardinaux et les tourna par devers soy sans cause et sans raison ; et si fist paier toultes et tailles et venir devant juges séculiers les clers et enchartrer et pendre, en despit du clergie et à leur confusion ; né ne fist satisfacion aux Hospitaliers né aux Templiers de ce qu’il leur avait tolu.

 

Xb - Page 304 chapitre XLVII  Ce passage est original par rapport aux autres chroniques. On peut donc craindre qu’il ne soit que pure affabulation et  contemporain ou postérieur au procès des templiers pour servir à la cause royale. Il semble en effet qu'on aie mis sur le compte de Guillaume de Sonnac une pratique éventuellement utilisée par un de ses successeur Guillaume de Beaujeu avec un émir mameluk. (Marie Louise Bulst Thiele « Sacrae domus militiae Templi Hierosolymitani magistri » version Italienne page 251). Une telle amitié aurait été totalement incompatible avec les propos rapportés par Matthieu Paris du sultan Nedjm Eddin aux émissaires templiers désirant négocier la mise en liberté des frères prisonniers en mars 1246. Manuscrit

 

Après ce que le soudan fu alégiez de sa maladie, il manda le mestre du Temple, qui mout estoit ses amis, et li dist que mout li sauroit bon gré s’il pooit tant fère que le roy de France s’en retornast en sa terre, et que trives feussent données et jurées jusques à une pièce de temps entre eus. Le mestre du Temple respondi que volentiers il i mètroit paine. Lors manda ses messagers et leur bailla lètres pour porter au roy de France, ès quelles lètres il estoit contenu que bonne chose seroit de faire pais au soudan de Babiloine. Quant le roy entendi les lètres, si li desplut mout ; et aussi fist il aus barons de France. Car, si comme aucuns disoient, le mestre du Temple aimoit bien autretant le proufit au soudan et s’onneur, comme il fesoit au roy de France ou plus. Tantost le roy manda au mestre du Temple, par ses lètres authentiques, que il ne feust dès ore en avant si osez qu’il receust nul mandement du soudan de Babiloine sans espécial commandement, ne que parlement tenist aus Sarrazins de riens qui apartenist au roy de France ne à ses barons.

 

 

Tant avoit grant amour entre le soudan et le mestre du Temple, que quant il vouloient estre sainiez, ils se faisoient sainier ensamble et d’un meisme bras et en une meisme escuelle. Pour tel contenance et pour plusieurs autres, les Crestiens de Surie estoient en soupeçon que le mestre du Temple ne feust leur contraire ; mais les Templiers disoient que telle amour moustroit il et telle honneur li portait por tenir la terre des Chrestiens en pais, et qu’elle ne feust guerroiée du soudan ne des Sarrazin.

 

Xc - Page 312 chapitre LIV « Coment le roy ala à la Maçoure. » Manuscrit

 

Entour la feste de la Toussains, le roy de France et les barons prisrent conseil d’aller à la Maçoure. Si appareillièrent leur ost parmi la rivière de Nilus et par terre, et s’en issirent de Damiete le vingtiesme jour de novembre, contre Sarrasins qui les attendoient d’autre part devant un chastel nommé la Maçoure. Si comme l’ost des barons aloit celle part, Sarrasins les commencièrent à costoier et leur commencièrent à lancier et à traire et saillir à eux, en reculant ainsi comme en fuiant, et puis si retournoient sus eux, et les féroient de dars et de javelos.

 

 

En ceste manière souffrirent grans assaux les barons ; mais ce ne fu pas sans grant occision des Sarrasins. Tant alèrent les barons qu’il vindrent devant la Maçoure ; si n’en porent approchier pour une rivière qui estoit entre la ville et l’ost des François qui Thaneos a nom, et chiet assez près d’illec en la rivière de Nilus. Si tendirent leur tentes et leur pavillons entre ces deux rivières et pourprirent toute la terre. Si comme il estoient illec hebergiés, nouvelles leur vindrent que le soudan de Babiloine estoit mort ; mais avant qu’il mourust, il manda son fils qui estoit ès parties d’orient qu’il venist hastivement en Egypte. Quant celluy-ci oï le commandement de son père, si se mist à la voie et vint à luy. Si tost comme il y fu, le soudan manda tous les puissants hommes de sa terre et leur requist que il feissent féaulté et hommage à son fils, et il luy promistrent et jurèrent. Le soudan, qui senti la mort, bailla son ost à conduire à un amiraut qui avoit nom Farhadin.

 

 

 

Xd - Page 313 chapitre LV « Coment François passèrent Thanéos. » Manuscrit

 

En cette place se combattirent les françois par mainte fois contre les sarrasins et en occirent assez et jetèrent en la rivière de Nilus qui est parfonde et roide. Et pour ce que il ne povoient à eux approchier, ils firent une chauciée par-dessus la rivière de Thaneos pour ce qu’elle estoit parfonde, si que il peussent plus légièrement avenir aux Sarrasins ; Les Sarrasins, qui d’autre part furent, mirent grant peine à despécier la chauciée, et à destruire par engins que il drescièrent ; et despecièrent un chastel de fust que les barons avoient drescié sus le pas de la chauciée, si que il ne pouvoient passer né à pied né à cheval.

 

Si comme il estoient en moult grant pensée coment il passeroient oultre, un Sarrasin leur dist qui avoit esté pris en l’ost, qu’il pourroient bien passer oultre par une voie qu’il leur montra assés près de la chauciée qu’il faisoient. Lors s’en vindrent au pas que le Sarrasin leur monstra et passèrent tout oultre à grant paour qu’il ne feussent noiés, pour le rivage qui estoit mol et plain de fange et de boe, et vindrent droit à la chauciée où les Sarrasins avoient drescié leur engins poue rompre la chauciée.

 

Quant les Sarrasins les apperceurent qui garde ne s’en donnoient, si furent tout esbahis et tournèrent en fuie. Les barons alèrent après eux et occirent tous ceux qu’il porent atteindre, entre lesquels fu Farhadin occis, qui estoit maistre capitaine de leur ost. Après ce qu’il les orent ainsi chaciés, il retournèrent aux tentes des Sarrasins et occirent tous ceux qu’il y trouvèrent, et puis retournèrent à la Maçoure et se desclorent [débandèrent] et espandirent parmi les champs. Quant les Sarrasins de la Maçoure virent leur sote contenance, si prisrent force en eux et retournèrent sus les barons et les enclosrent et avironnèrent de toutes pars, et en occirent grant foison.

 

Le conte d’Artois vit que les portes de la Maçoure estoient ouvertes : si tourna celle part luy et un chevalier du Temple, et se bouta dedens la ville ; mais il fu tantost occis que oncques puis ne peut-on savoir qu’il fu devenu.

 

Celle journée fu dure et aspre aux barons : car Sarrasins leur lancièrent quarriaux et sajetes espressement, ainsi comme sé ce fust pluie : mais tant se tindrent jusques à heure de nonne qu’il vainquirent l’estour et enchacièrent les Sarrasins par l’aide des arbalestriers.

 

Quant Sarrasins furent chaciés du camp, les barons se recuellirent ensemble, et mirent leur très et leur paveillons delez les garnisons aux Sarrasins qu’il avoient gaignées, et se reposèrent illec toute la nuit et le demourant du jour. L’endemain firent un pont de fust pour pour venir à eux ceux qui estoient de l’autre part de la rivière de Thaneos. Quant le remenant de la gent fu oultre passé, si drecièrent leur tente tout environ le roy, et firent lices et clostures entour leur paveillons des engins aux Sarrasins pour estre plus asseurs. Nouvelles alèrent par tout le païs environ que ceux de la Maçoure estoient assis des crestiens ; si commencièrent a venir de pluseurs parties en l’aide des Sarrasins ; si s’assemblèrent ensemble et vindrent jusques aux lices et commencièrent à assaillir à grant esfort et espoventable.

 

Les barons s’aprestèrent d’eux deffendre, et ordenèrent leur batailles et se férirent en eux vigeureusement, tant que il les firent reculer et retourner en fuie vers la Maçoure, et les chaçièrent de si près que il en occirent et prisrent des plus hardis et des miex renommés.