G - 1246
Le document suivant daté de Fontevraud le samedi 2 juin 1246 est une lettre d’Isabelle d’Angoulème à Saint Louis éditée dans les « Layettes du trésor des chartes » par M.A. Teulet Tome II 1866 n° 3523 page 622 cote J270 La Marche n°16 original scellé..
Il faut rappeler avant tout qu’Isabelle d’Angoulème à 60 ans était mourante (+ 4 juin 1246) à l’abbaye de Fontevraud où elle s’était retirée du monde depuis début 1245 après avoir rendu hommage au roi de France. Elle y sera d’ailleurs inhumée aux cotés d’Aliénor d’Aquitaine, de Jean sans Terre et Richard Cœur de Lion. Sa lettre ressemble donc plus à des dernières volontés qu’à une supplique ordinaire.
Aliénor-Isabelle-Henri II
Chapelle troglodyte Sainte Radegonde à Chinon
La vie d’Isabelle est un vrai roman. Fille unique d’Aymard Taillefer (1160-1202) comte d’Angoulème de 1185 à 1202 et d’Alix de Courtenay (1160-1218, petite fille de Louis VI le Gros) elle est née vers 1186. Elle était promise à Hugues X de Lusignan mais Jean sans Terre l’enlève à l’age de 14 ans et l’épouse à Bordeaux et/ou Chinon en août 1200. Le dessein de Jean sans Terre était clair : en permettant le rapprochement de la maison d’Angoulème favorable à Philippe Auguste avec la maison de Lusignan qui détenait le comté de la Marche, Jean sans Terre laissait se faire une coupure entre ses possessions d’Aquitaine et celles de Poitou-Anjou-Normandie. Notre jeune Isabelle devient donc reine d’Angleterre et belle fille d’Aliénor d’Aquitaine. Elle donne à Jean sans Terre 5 enfants sans prêter attention au comportement extra marital de son roi ! Ces 5 enfants atteindront tous l’age adulte. Henry succèdera à son père sous le nom d’Henry III, Richard dit de Cornouailles deviendra comte de Poitiers, Jeanne épousera Alexandre II d’Ecosse, Isabelle sera impératrice en épousant Frédéric II Hohenstaufen et Aliénor qui se mariera avec Simon V de Montfort. A la mort de Jean sans Terre en 1216 elle quitte son fils Henry III pour revenir à son ancien fiancé.Avec Hugues X elle aura 9 enfants qui atteindront tous l’age adulte. Aymer le second deviendra évêque de Winchester en 1250 et le sixième enfant (pour lesquels Guillaume de Sonnac devra plaider) se mariera avec Jeanne de Châtellerault en 1259 et deviendra vicomte de Châtellerault. Ancienne reine particulièrement fière et refusant l’influence grandissante des Capétiens sur les débris de l’empire Plantagenêt, elle est l’inspiratrice de la coalition de 1242 qui finira par la bataille de Taillebourg. Obligée de rendre hommage au roi de France après avoir selon la légende tenté de l’empoisonner, c’est à ce moment de sa vie où nous la retrouvons. On peut penser que les accusations d’attentat royal à Chypre fomentées par les ennemis de Guillaume de Sonnac reposaient sur l’attitude d’Isabelle et son amitié avec Guillaume.
La supplique d’Isabelle est destinée à renouveler l’hommage qu’elle avait fait sûrement de mauvais cœur à la Sainte Chapelle en février 1244 (calendrier Julien) soit en février 1245 (calendrier Grégorien) et surtout de demander que ses 9 enfants puissent également prêter hommage et recevoir par là même la protection du roi de France, ce qui est bien logique pour une mère sur son lit de mort. Bien sûr son état ne lui permet pas de se déplacer aussi fait elle la liste de ses plus fidèles connaissances pour que deux d’entre eux puissent porter sa lettre à Saint Louis, espérant bien sûr que les deux premiers de la liste accepteront. Ces 5 hommes sont : « frater Willelmus de Sounaio, magister milicie Templi in Aquitania, frater Luchas de Chaynone ejusdem ordinis, religiosus vir abbas de Corona, Gaufridus de Botevilla miles, Petrus Brunatiers serviens domoni mei comitis Marchie » (Frère Guillaume de Sonnac, maître de la milice du Temple en Aquitaine, frère Luc de Chinon du même ordre, le révèrent abbé de Corona, Gaufridus de Botevilla soldat, Pierre Brunatiers garde de mon mari le comte de la Marche).
Nous voyons par cette lettre toute la confiance qu’une des dernières représentantes de la maison Plantagenêt porte à notre homme. Par d’autres détails de la vie de Guillaume de Sonnac, mais plus particulièrement par cette lettre, nous pouvons
voir combien Guillaume était proche des seigneurs Plantagenêts et donc de l’Angleterre tout en servant au mieux les intérêts du roi de France engagé avec son frère Alphonse de Poitiers depuis 1244 dans la préparation d’une grande croisade, espoir et raison de vivre et de mourir de tout Templier. On ne sait pas si Guillaume de Sonnac mena à bien la mission que lui confiait Isabelle d’Angoulème mais le fait que sa lettre soit parvenue à la Bibliothèque Nationale semble indiquer qu’elle est arrivée à son destinataire. Nous noterons aussi que le second de la liste est un Templier de la famille de Chinon que connaissait certainement très bien Guillaume de Sonnac comme nous le verrons par la suite.
Isabelle incarne donc toute l’ambiguïté de la période pour nos ancêtres poitevins : Isabelle est pleinement Capétienne puisque arrière petite fille du roi de France mais également pleinement Plantagenêt puisqu’épouse d’Henry II et mère d’Henry III. Vivre avec cette dichotomie devait être particulièrement éprouvant. Guillaume de Sonnac a certainement partagé ces mêmes sentiments.
On comprend également pourquoi Guillaume de Sonnac mettait une telle pression sur Henry III pour qu’il participe à la croisade et quelle déception il dut éprouver de voir l’Angleterre participer aussi mollement.
Marie Louise Bulst Thiele cite également cette lettre en émettant l’hypothèse que Guillaume de Sonnac avait accompagné Isabelle à l’hommage rendu en 1244. Cela n’est pas certain et nous avons vu les raisons pour lesquelles elle ne pouvait le faire personnellement le 4 juin 1246.
Cette lettre est citée par 1866 : Teulet - 1893 : Röhricht - 1930 : Léonard - 1974 : Bulst - 1994 : Barber.
A. Teulet - Layettes du trésor des chartes - Tome II - 1866 - chez Henri Plon - page 622